American Fiction vient a priori de débarquer sur Amazon Prime Video en France avec un nouveau titre. Premier film de Cord Jefferson, scénariste de séries acclamées (Master of None, Watchmen), Fiction à l’américaine examine subtilement les stéréotypes sur les Afro-Américains dans les récits contemporains, particulièrement à Hollywood. Aux États-Unis, le métrage a (déjà) reçu de nombreuses récompenses, notamment pour la performance de Jeffrey Wright, et les Oscars l’ont honoré de cinq nominations.
Toutefois, à travers cette reconnaissance ironique, le film ne risque-t-il pas de voir son message étouffé par l’élite artistique qu’il dénonce ?
Synopsis : Lassé de voir le système profiter des divertissements « noirs » basés sur des tropes offensants, un romancier frustré décide d’écrire son propre livre « noir », qui le propulse au cœur de l’hypocrisie qu’il méprise.
[Edit du 11 mars : Cord Jefferson a obtenu l’Oscar du Meilleur scénario adapté pour Fiction à l’américaine]
American Black Story
D’abord, se plaçant du côté de la justesse, de l’audace et d’une certaine vigueur récréative, Fiction à l’américaine dépasse de loin sa liste impressionnante de récompenses. À l’instar de Spike Lee, Cord Jefferson se revendique de l’héritage spirituel de James Baldwin. Ancien journaliste, il a dû braver les clichés persistants de l’industrie hollywoodienne dès ses débuts dans l’écriture pour la télévision. De fait, dans les carcans de l’usine à rêves, où l’on privilégie surtout les récits d’esclavage et de violence urbaine pour les auteurs afro-américains, il reste peu de place pour d’autres histoires. L’idée d’adapter Effacement de Percival Everett est née d’une volonté de dénoncer l’hypocrisie présente dans l’industrie hollywoodienne et culturelle dans son ensemble. Publié en 2005, le roman explorait (déjà) comment un romancier défiait avec subtilité et humour le conformisme intellectuel imposé aux auteurs noirs en parodiant les succès littéraires de l’époque.
À plus d’un titre, Cord Jefferson n’a pas caché les difficultés qu’il a traversées pour adapter ce roman au cinéma. En foulant les tapis rouges, il a souligné les dix années nécessaires pour écrire et mettre en chantier sa fiction américaine jusqu’à convaincre, contre toute attente, T-Street Productions (dirigée par Ram Bergman et un certain Rian Johnson). Ainsi, il ne faut surtout pas réduire le métrage à un simple film à Oscars, mais plutôt le considérer comme un véritable exploit dans une industrie plus prompte à célébrer tardivement ses brillants rejetons qu’à les financer. Et en ce sens, le long-métrage partage une trajectoire miraculeuse avec l’Anatomie d’une Chute de Justine Triet et mériterait de trouver un écho favorable auprès du grand public auquel il est destiné.
Prétexte satirique
Difficile d’aborder Fiction à l’américaine sans évoquer sa réappropriation ironique par les élites, symbolisée par les Oscars et le BAFTA 2024 du Meilleur scénario adapté, tout en assistant au désintérêt du grand public. En effet, au-delà d’être une satire explicite visant Hollywood, Fiction à l’américaine joue habilement avec les codes de la comédie dramatique. C’est d’autant plus remarquable que le film ne se limite pas à sa dimension caustique, malgré la dureté du récit et des événements qui frappent les protagonistes. En réalité, Cord Jefferson illustre avec dignité un récit qui aurait pu sombrer dans le cynisme, choix salvateur révélé notamment dans une formidable séquence où les caricatures prennent vie devant l’écrivain, traitées avec humanité et authenticité pour mieux faire ressentir la puissance du stéréotype.
Assurément, Fiction à l’américaine a tout d’une brillante satire mise en relief par de superbes dialogues et une distribution éclatante. Toutefois, au-delà de cet aspect largement commenté et décrypté, ce premier film offre une belle étude de personnage. Sous les airs jazzy délicats et habiles de la compositrice Laura Karpman, le personnage principal, Monk, incarné par un Jeffrey Wright immense par sa clairvoyance et son raffinement, révèle toute son ambivalence. Déjà remarqué dans ce registre dans la fresque inégale Westworld, Wright porte un personnage fascinant, emblème des songes du réalisateur Cord Jefferson et de l’écrivain Percival Everett. Surtout, Monk est le visage de l’Afro-Américain érudit de la classe supérieure, déchiré entre l’aigreur, la modestie et un humour mélancolique.
En fin de compte, Fiction à l’américaine se révèle être un formidable premier film, d’où s’échappe une candeur qui n’atténue en rien la puissance de sa missive à l’égard de l’industrie qui peut toujours applaudir.
Bande-annonce – Fiction à l’américaine
Fiche Technique : Fiction à l’américaine
Réalisation : Cord Jefferson
Scénario : Cord Jefferson, d’après le roman Effacement de Percival Everett
Production : Cord Jefferson, Jermaine Johnson, Nikos Karamigios et Ben LeClair
Musique originale : Laura Karpman
Distribution : Amazon Prime Video
États-Unis – 2024 – 117 mns
Avec Jeffrey Wright, Tracee Ellis Ross et John Ortiz
Sortie le 26 février 2024 sur Prime Video