A une époque qui a à ce point creusé un gouffre entre la promesse de l’œuvre et l’œuvre elle-même, au point que l’expérience spectatorielle est en passe de devenir le parent pauvre du processus cinématographique, le simple fait de parvenir à être ce que l’on est supposé être constitue en soi un petit miracle. Ça tombe bien, c’était tout ce qu’on demandait à Criminal Squad, le premier film de Christian Gudecast, que la bande-annonce nous avait vendu comme un ersatz de Heat tartiné au jus de couilles emmené par un Gérard Butler éructant d’un machisme d’un autre âge.
Pour nous les hommes
Bref, du bon gros polar urbain testostéroné traversé par les excès de ses personnages borderlines et enivré de sa propre amoralité. Et pour bien faire, le réalisateur s’assurait les services de tout ce que l’industrie du divertissement peut compter de fiers représentants d’une masculinité trempée dans le jus de testostérone non dilué. Hormis notre Léonidas (Gérard Butler donc) qui a troqué sa jupette contre un marcel blanc et ses abdos de club de gym de San Francisco contre une bedaine de pilier de bar, comptez donc des seconds rôles vus dans tout ce que le cinéma et la télé peuvent compter d’univers « manly man approved »: un emblème du gangsta rap qui travaille sa reconversion (l’inénarrable Curtis « 50 Cent » Jackson) et le fils d’un rappeur célèbre connu pour avoir joué son paternel (O’Shea Jackson jr), des Samoans aux physiques de Goliath, et même des combattants de l’UFC qui viennent faire coucou. Devant tant de bonheur, on était même prêt à fermer les yeux sur les inévitables appels du pied au moralisme pontifiant de l’éternel troisième acte expiateur pour peu que le film commette vraiment les outrages dont il essaierait hypocritement de se racheter in extremis. En résumé, on voulait que Criminal Squad ressemble le plus possible à ça :
Soit des gros bras mal rasés parfumés à la bouteille de Jack de la veille, des concours de qui a la plus grosse en veux-tu en voilà, des clubs strip-tease pour apaiser les esprits, et les basses d’une bande-son rap pour la caution street de rigueur. Des fois, le cinéma c’est simple comme les petits plaisirs de la vie.
Ça tombe bien, c’est exactement ce que nous offre le film. Et même un peu plus.
On se gardera bien de comparer Criminal Squad à toute autre œuvre s’étant essayé à marcher sur les plates-bandes du monument de Michael Mann mentionné plus haut vu qu’au bout du compte, le film réussit à ne ressembler qu’à lui-même. Visiblement conscient non seulement de ses influences mais aussi des attentes qu’il avait fait naître, Christian Gudecast se fait un point d’honneur à cocher toutes les cases du programme qu’il s’était fixé. Le classique schéma du flic au bord du point de rupture engagé dans un jeu du chat et de la souris avec un voleur supérieurement doué fait le lit ici d’un duel de pitbulls qui a le bon goût de ne pas s’embarrasser de trop de considérations existentielles.
Il ne peut en rester qu’un
Convoquant avec talent l’urbanité caniculaire et déliquescente de Los Angeles pour mieux faire accentuer la pression, Criminal Squad orchestre parfaitement la confrontation de ces deux camps qui ne vivent que pour imposer leur suprématie aux autres. Il faut à cet égard souligner à quelle vitesse Gudecast expédie la mise en place inhérente au genre. Les braqueurs sont identifiés en quinze minutes par les flics et les flics sont reconnus encore plus vite par les braqueurs, chacun jouant la carte d’une transparence qui permet au réalisateur de sortir du carcan du genre pour se focaliser sur le conflit en chien de faïence qui s’installe. Ce n’est pas un polar, mais une compétition sportive entre deux équipes chauffées à blanc (ce que le scénario ne manque pas de souligner). Chaque confrontation se transforme ainsi en décharge de tension silencieuse, tel cet anthologique dialogue méta au stand de tir qui donne envie au spectateur de se planquer dans un trou de souris. Pour vous donner un ordre d’idée, c’est un peu comme si vous vous retrouviez au milieu de ça :
Tu sens la pression qui émane de nous ?
Vous l’aurez compris, le cahier des charges est rempli, et bien rempli. A d’autant plus forte raison que le contexte dépeint de la militarisation des conflits entre braqueurs et forces de l’ordre et la volonté de filmer des décors susceptibles de sortir L.A de ses images d’Epinal ajoutent un ancrage bienvenu au récit. De fait, dans son degré de lecture le plus immédiat, Criminal Squad est le film que David Ayer n’a jamais fait – et ne saura jamais faire. Christian Gudecast est un réalisateur qui a définitivement compris ce que son public est venu voir. Tellement même que l’ensemble pourrait paraître presque trop calculé pour être honnête, d’autant plus à l’aune d’un twist final qui aurait pu se révéler méchamment roublard en d’autres mains (David Ayer, encore lui !). Or, c’est bien la conscience de ces attentes qui apporte à l’ensemble une perspective lui permettant de préparer la transgression de sa ligne de conduite en amont sans dévier des clous de sa proposition initiale. Un numéro d’équilibriste qui pourrait tenir tout entier sur un élément oh combien déterminant à la réussite de l’ensemble : la composition de son casting.
Gérard Butler on fire
Soyons clair, si Criminal Squad affiche une belle brochette de gros bras aux tronches de bourrins endurcis (Pablo Schreiber, Curtis Jackson, la galerie impressionnantes de trognes convoquée pour l’occasion), c’est bien le chef d’escadrille qui donne le ton à l’ensemble. Et cette tête de gondole c’est Gérard Butler. Butler bon comme il l’a rarement été, endossant la panoplie du flic fucked up accro à l’adrénaline comme s’il était le premier à la porter. Butler, dont le profil de brute antipathique trop ivre de sa violence (mal) contenue pour être tout à fait soluble dans le moule du héros classique, trouve enfin le terrain sur lequel se déployer. Dans le royaume des bullys de cour de prison, il est confortablement assis sur le trône. Contre son adversaire qui danse autour de lui, joue la tactique et refuse l’affrontement de face, Butler fonce comme un buffle prêt à l’attaque. Son « Big Nick » terrorise son entourage, s’assoit sur le protocole pour assouvir son besoin d’imposer sa loi, et victimise son prochain quand il est trop tendre pour lui faire face (il surnomme la petite frappe jouée par O’Shea Jackson jr « Fraulein », après une allusion à son intégrité anale). Butler est violent, Butler est hargneux, Butler est over the top, Butler sort ses grosses couilles et les frotte sur la table jusqu’à décaper l’amour-propre des quidams qui y sont assis.
Or, c’est bien à l’aune de ce show complètement désinhibé qu’il faut aller chercher le propos qui sous-tend l’ensemble. A savoir que ces démonstrations de forces hyperboliques sont précisément pensées pour extérioriser les névroses des personnages (en particulier celui-là). Jusqu’à son climax, Criminal Squad est un spectacle qui appuie généreusement sur tous les curseurs convoqués jusqu’à ce qu’un twist inattendu reconfigure son logiciel en totalité, sans pour autant faire mentir ce qui a précédé. Toute la réussite du film réside dans la capacité du réalisateur à gérer le mélange de premier degré absolu et de distance induite par le propos sans trahir son jeu aux yeux du spectateur. Une réussite tributaire de la performance de Butler, tant l’Écossais intègre sans se forcer la défaillance de ce personnage qui n’a pas conscience de la taille de sa touquette, son environnement lui renvoyant constamment le reflet qu’il aime à contempler. Mais c’est aussi l’honnêteté du réalisateur qui fait la différence, dans sa volonté de ne pas articuler ses intentions au détriment de ses personnages. Pas question d’instrumentaliser des caricatures pour appuyer un discours (voir ainsi les apartés sur la vie privée des uns et des autres, assez justes) et casser le premier degré de l’ensemble.
La fin d’une époque
Évidemment, dans ce genre d’exercice entreprenant de duper le spectateur sans se foutre de sa gueule, il est toujours difficile de réussir à jouer sur les deux tableaux si on ne s’appelle pas M. Night Shyamalan. De fait, on pourra toujours reprocher à Christian Gudecast de dissimuler ses cartes un peu trop vertement ; on pointera également du doigt les quelques incohérences qui survivent au procédé qui est censé leur donner sens. Reste que c’est tout à l’honneur du réalisateur d’entreprendre cette mécanique dans son découpage même plutôt qu’en intériorisant un discours qui se mettrait en travers de la proposition initiale. Se faisant, Criminal Squad fait de son propos un enjeu purement cinématographique qui sait choisir son moment pour se cristalliser. Comme dans cette fusillade finale qui refuse la catharsis tant espérée, laissant la frustration l’emporter sur la satisfaction. Un climax que l’on pourrait résumer dans cette réplique du personnage de 50 Cent, qui demande son arme du ton le plus fataliste et laconique dont il est capable, comme s’il était conscient du programme qu’il devait remplir. Si même celui qui a réinventé le gangsta rap il y a 15 ans fait la tronche en empoignant son arme…
Sous couvert du film mâle hyperbolique annoncé, Criminal Squad dessine le crépuscule d’un archétype en fin de vie. Ce faisant, le film de Christian Gudecast réussit à être parfaitement ce qu’il se devait d’être, tout en devenant son inverse. Autant dire que de la part du scénariste de la Chute de Londres et Un homme à part, on n’en attendait vraiment pas tant.
Criminal Squad : Extrait
Synopsis : Chaque jour, 120 millions de dollars en liquide sont retirés de la circulation et détruits par la Réserve fédérale de Los Angeles. Un gang de braqueurs multirécidivistes va tenter l’audacieux tour de force de mettre la main dessus. Mais, ils vont se heurter à une unité d’élite de la police qui n’a pas l’intention de jouer dans les règles de l’art. Tous les coups sont permis pour coincer ces gangsters prêts à tout.
Criminal Squad : Fiche technique
Titre original : Den of Thieves
Titre québécois : À armes égales
Réalisation : Christian Gudegast
Scénario : Christian Gudegast et Paul Scheuring
Interprétation : Gerard Butler :(Nick « Big Nick » Flanagan), Pablo Schreiber (Ray Merrimen), O’Shea Jackson Jr. (Donnie Wilson), Curtis « 50 Cent » Jackson (Levi Enson), Evan Jones (Bosco), Cooper Andrews (Mack), Brian Van Holt (Murphy « Murph » Collings)
Musique : Cliff Martinez
Photographie : Terry Stacey
Montage : Joel Cox
Production : Mark Canton, Christian Gudegast, Ryan Kavanaugh et Tucker Tooley
Sociétés de production : Diamond Film Productions, Tooley Productions et G-BASE
Sociétés de distribution : STX Entertainment (États-Unis), Metropolitan FilmExport (France)
Date de sortie : 21 Février 2018
Durée : 2h20
Genre : Thriller, policier
États-Unis 2018
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