Avec Bienvenue à Marwen, Robert Zemeckis démontre encore une fois que pour conter des histoires extraordinaires, il faut avoir recours à des moyens qui eux aussi sortent de l’ordinaire. En faisant le portrait de l’artiste Mark Hogancamp, le réalisateur américain fait donc une nouvelle fois appel à la motion capture, procédé qu’il avait démocratisé dans les années 2000.
Bien que faisant preuve d’un éclectisme certain en allant du film d’aventure à la science-fiction en passant par le conte, la filmographie de Robert Zemeckis possède pour liant un goût pour l’expérimentation. Qu’importe le sujet de son film, le cinéaste américain a toujours eu pour but de transcender le médium cinématographique. On le remarque avec une de ses œuvres emblématiques, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? sorti à la fin des années 80 qui mêlait prises de vue réelles et animation tout en créant une interaction entre personnages animés et acteurs. Une recherche formelle qui a atteint son point culminant dans les années 2000, où Robert Zemeckis s’est donné corps et âme dans la motion capture, révolutionnant la mise en scène de l’animation. Une prouesse technique qui n’aura pas forcément convaincu tout le monde, mais qui a permis avec Beowulf par exemple, de s’affranchir de certaines limites et de retranscrire à la perfection le caractère épique de l’œuvre. Cette technique d’animation lui permet également de s’aventurer pleinement sur le terrain de la 3D. Un univers qu’il appliquera au cinéma « traditionnel » avec The Walk sorti en 2015. Le réalisateur y retrace l’exploit de Philippe Petit, funambule français ayant rejoint les deux tours jumelles de New York à l’aide de son câble. À travers cette histoire hors du commun, Zemeckis , qui voulait dans un premier temps avoir recours à la motion capture, trouve un terrain idéal pour continuer son exploration de la 3D, retranscrivant à merveille la prouesse vertigineuse de Petit.
Même si Zemeckis a pondu au fil du temps nombreuses œuvres cultes dont la plus célèbre restera la trilogie Retour vers le futur, l’américain essuie de nombreux échecs critiques et publiques (notamment sur son territoire). Ce ne sont pas les premiers retours désastreux en provenance des États-Unis pour son dernier film qui nous feront dire le contraire. Pourtant avec Bienvenue à Marwen, Zemeckis offre un divertissement à la fois touchant et inventif. En contant cette fois-ci l’histoire de Mark Hogancamp, photographe américain traumatisé par une agression haineuse qui se reconstruit au travers de son imaginaire, Zemeckis y trouve un sujet parfait pour sa vision du cinéma. Passionné par la seconde guerre mondiale et les talons aiguilles, Mark Hogancamp a crée dans son jardin le village de Marwen, hameau belge pris au cœur du conflit dans lequel évoluent plusieurs poupées dont Hogie, un soldat américain alter-ego de Hogancamp et diverses femmes inspirées de celles qui ont marqué plusieurs étapes de sa vie. Le photographe met alors en scène la lutte sans relâche entre Hogie et ses drôles de dames face à une armée de nazis sous l’œil maléfique d’une certaine sorcière répondant au doux nom de Deja Thoris.
L’imaginaire de Mark Hogancamp prend alors vie sous la caméra de Robert Zemeckis. En ayant une nouvelle fois recours à la motion capture, le metteur en scène fait bouger les poupées de Hogancamp, donnant lieu à bon nombre de séquences d’action dignes de grands films de guerre, voire même de western (cette séquence de l’arrivée des femmes de Marwen pour sauver Hogie est tout bonnement grisante). Repoussant constamment les limites de sa mise en scène, Zemeckis fait cohabiter la motion capture du monde des poupées aux prises de vue traditionnelles du monde réel, et ce avec une fluidité exemplaire comme le montre certains raccords sur les personnages se transformant en un instant en poupée. Évidemment ce qui intéresse Zemeckis n’est pas simplement de mettre en mouvement les scènes photographiées de l’œuvre de Hogancamp, mais plutôt l’homme qui se cache derrière l’objectif. Voilà pourquoi tout au long du film, Zemeckis va nous faire voyager entre les deux mondes. Deux mondes nécessaires et complémentaires pour comprendre pleinement Mark Hogancamp, interprété par un bouleversant Steve Carell.
En mettant en scène cette lutte incessante entre Hogie et les nazis, c’est le combat d’un homme contre son traumatisme que Zemeckis dépeint. Un trauma ayant privé Hogancamp de ses souvenirs et de son talent pour le dessin et qui doit alors se reconstruire d’une nouvelle manière. C’est l’importance de l’art et de l’imaginaire que démontre Zemeckis, montrant la création comme un échappatoire aux horreurs de la vie réelle. Tout cela est traité de manière très intelligente par le réalisateur, traçant de nombreux parallèles entre les scénettes créées par Hogancamp et ce qu’il se passe dans sa propre vie. Il y incorpore également le personnage de la poupée Deja Thoris, sorcière symbolisant les addictions de Hogancamp, empêchant l’échappatoire d’être total et rappelant la dureté du monde réel à Hogie. Animation et cinéma traditionnel se répondent alors constamment. En plus de l’imagination, Zemeckis met en avant le rôle des femmes dans la vie de Hogancamp. Plusieurs femmes auront marqué la vie de l’artiste et se verront alors obtenir une poupée à leur effigie dans le village de Marwen. On y retrouve son aide à domicile, sa collègue de travail, son amie gérante du magasin de jouet, tout comme le spectre de son ex-femme qui hante encore les pensées de Hogie/Hogancamp. C’est d’ailleurs l’arrivée d’une nouvelle voisine en face de chez lui qui va avoir un effet cathartique lui permettant de surpasser certaines de ses peurs. Zemeckis rend alors ici un vibrant hommage universel aux femmes quels que soient leurs métiers ou leurs origines. Il y offre même à sa femme Leslie, le rôle de l’une des poupées de Marwen, Suzette.
Bienvene à Marwen porte donc fièrement la marque de son auteur. Une œuvre forte et poignante montrant le destin incroyable d’un homme et sa reconstruction au travers la mise en scène de son imaginaire. Un sujet qui sied à merveille à un réalisateur dont les expérimentations cinématographiques ont souvent été remises en question mais qui n’a cessé de persévérer dans cette voie, et même si cet essai ne mettra pas tout le monde d’accord, il témoigne d’un amour incommensurable pour son art et une nouvelle propension à raconter des histoires.
Bienvenue à Marwen – Bande annonce
Bienvenue à Marwen – Fiche Technique
Réalisateur : Robert Zemeckis
Scénariste : Robert Zemeckis et Caroline Thompson, d’après le documentaire Marwencol de Jeff Malmberg
Interprétation : Steve Carell, Leslie Mann, Diane Kruger, Janelle Monae, Gwendoline Christie, Meritt Wever, Eiza Gonzalez
Image : C. Kim Miles
Musique : Alan Silvestri
Montage : Jeremiah O’Driscoll
Directeurs artistiques : Chris Beach
Décors : Stefan Dechant
Costumes : Joanna Johnston
Producteurs : Cherylanne Martin, Jack Rapke, Steve Starkey et Robert Zemeckis
Sociétés de production : ImageMovers et Universal Pictures
Distributeurs (France) : Universal Pictures
Genre : Drame, biopic
Durée : 1h56
Date de sortie : 2 janvier 2019
États-Unis – 2018