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Blade Runner, un film de Ridley Scott: Critique

Ressortie en salles de « Blade Runner », l’Éternel Retour

Synopsis : Dans les dernières années du 20ème siècle, des milliers d’hommes et de femmes partent à la conquête de l’espace, fuyant les mégalopoles devenues insalubres. Sur les colonies, une nouvelle race d’esclaves voit le jour : les répliquants, des androïdes que rien ne peut distinguer de l’être humain. Los Angeles, 2019. Après avoir massacré un équipage et pris le contrôle d’un vaisseau, les répliquants de type Nexus 6, le modèle le plus perfectionné, sont désormais déclarés « hors la loi ». Quatre d’entre eux parviennent cependant à s’échapper et à s’introduire dans Los Angeles. Un agent d’une unité spéciale, un blade runner nommé Deckard (incarné par Harrison Ford), est chargé de les éliminer. Selon la terminologie officielle, on ne parle pas d’exécution, mais de retrait…

Trailer du 30ème Anniversaire.

            A l’occasion de la ressortie ce mercredi 14 octobre de Blade Runner, le troisième film de Ridley Scott réalisé en 1982, Cineséries-mag a proposé à ses rédacteurs d’écrire un article. Votre nouveau fidèle serviteur a alors accepté l’offre.

            Ce fut d’abord pour moi une réflexion quant à l’écriture d’un article, d’un texte, sur Blade Runner. En effet que dire sur le film qui n’ait pas été dit par des journalistes, des cinéphiles (souvent élogieux), des making-of – on peut penser au très bon Des temps difficiles : le making-of de Blade Runner -, des cinéastes – Ridley Scott, Denis Villeneuve, Christopher Nolan ou encore Quentin Tarentino -, et des théoriciens – tels que Telotte, Frentz, Rushing sur l’androïde, la machine et le cyborg par exemple, ou encore à Chion et sa Science-Fiction au Cinéma ?

Ainsi, qu’est-ce que c’est que d’écrire sur Blade Runner trente-deux ans après ?

Une autre question m’apporta quelques éléments de réponse : qu’est-ce que revoir Blade Runner au cinéma aujourd’hui ? Ces derniers ne seront pas forcément originaux, n’amenant pas forcément de nouvelles idées, mais seront bien au présent.

            Revoir Blade Runner aujourd’hui, c’est d’abord voir une œuvre qui a dû attendre 25 ans avant d’être « finie ». En effet, à la suite d’un tournage chaotique à cause de mésententes entre le réalisateur, le scénariste, et les producteurs, le film sera monté sans les « auteurs ». Il connait alors deux premières versions aux fins heureuses, ensoleillées, optimistes en complète incohérence avec le reste du film. On y voit Deckard et Rachel partir dans des régions lumineuses, forestières et montagneuses, sur des images de Shining réutilisées, et alors on peut se poser la question : mais pourquoi ne pas l’avoir fait dès le début et enduré cet enfer futuriste ? Le film a connu un grand nombre – encore discuté – de versions, on citera ici les quatre versions « officielles » vendues dans les coffrets collector anniversaires : la version nord américaine, celle internationale, la version télévisuelle, la director’s cut et la final cut, on peut aussi trouver la version de travail dans le coffret blu-ray. Il ne s’agira pas de discuter de toutes les différences entre les versions, n’hésitez pas à vous renseigner sur le net, mais on notera ici que dès le début du projet, Scott et les scénaristes Hampton Fancher et David Peoples avaient écrit la fin qu’on connait actuellement, intégrée au film avec la director’s cut – une version promotionnelle de Warner Bros (voulant surfer sur le succès du film dans les vidéo clubs et autres cérémonies filmiques) alors relativement dirigée par Scott – et confirmée dans la final cut de 2007, version finie du film complètement orchestrée par Ridley Scott. Une fin cohérente avec l’univers, donc mélancolique, et surtout apocalyptique. Apocalypse, dans le sens premier du terme, signifie « objet / chose dévoilé(e) aux hommes », et implique un changement. Et c’est tout à fait le sens de la fin de Blade Runner, une révélation.

            Le chef de la bande de répliquants Nexus-6, Roy Batty, vient d’affronter Deckard, menant le combat de loin. Mais après avoir retranché le blade runner plus fragile que jamais sur un toit, ça n’est pas un androïde mais un être humain qui meurt de « vieillesse » d’une vie de quatre ans, dont quelques souvenirs vont nous être contés à travers un monologue poétique, puissant, et mélancolique : « I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser gate. All those moments will be lost in time, like tears in rain. Time to die. ». En français : « J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »

Les derniers mots du réplicant Roy Batty sont une révélation pour Deckard, qui décide d’en finir avec son travail de tueur et dont le statut d’humain / machine est plus qu’ambigu, et questionnent l’essence de la nature humaine, interrogée pendant tout le film via la traque des autres Nexus-6 mais aussi avec la relation amoureuse de Deckard avec Rachel, elle-même une réplicante. Qu’est-ce que l’humain ? Est-ce juste une physionomie particulière et un corps de chair et de sang ? Le film questionne alors : sont-ce les souvenirs qui forment les êtres humains ? On sait cependant que leurs premiers souvenirs sont factices, alors ne serait-ce pas les souvenirs qu’ils se forgent eux-mêmes qui font d’eux des êtres humains ?

Memories of green, par Vangelis, Blade Runner Soundtrack.

            Des questions auxquelles le film nous invite à méditer, appuyées par sa bande-originale composée par Vangelis. Une bande-son musicale électrisante et inspirée, pour une composition éclectique, entre l’électronique et l’instrumental, l’élément sonore et l’élément mélodique, l’ethnique et l’intime, l’ancien (avec One More Kiss, Dear chantée par Don Percival) et le moderne électro, à l’image du futur dépeint par Ridley Scott, entre grandeur (des décors urbains, de la passion amoureuse des protagonistes, de ses effets spéciaux toujours aussi incroyables…) et décadence absolue (la misère humaine et plus généralement des formes de vie, et la violence, entres autres éléments), multiethnicité de la population et racisme robotique, calme et foule, silence et slogans publicitaires, poésie et folie meurtrière… Bienvenue à Los Angeles en 2019.

            En effet, revoir Blade Runner, c’est accepter de voyager à nouveau dans cet abîme futuriste enivrant. Le revoir au cinéma, c’est s’y perdre complètement pour en sortir, à l’image de Deckard, changé, révélé. Car si le film questionne l’humanité à travers ses personnages, celle-ci projette le questionnement aussi sur les spectateurs. Elle nous regarde, consommateurs, pollueurs, et pointe du doigt nos méfaits en puissance : la pollution, un nouveau type de racisme avec les androïdes, notre folie destructrice – l’extinction des animaux par exemple – mais surtout créatrice à travers nos capacités et volontés technologiques de créer la vie, notamment à notre image – avec la Tyrell Corporation créant des « androïdes plus humains que les humains »…

            Vous l’aurez compris, Blade Runner, subjugue et perturbe toujours. Intemporel, il aura fait couler beaucoup d’encre et n’est pas prêt d’arrêter de le faire. La mienne, numérique, aura tenté de lui rendre un hommage digne de ce nom dans les limites imposées ici. De plus, l’annonce de la suite réalisée par Denis Villeneuve – avec Ridley Scott à la production et à l’histoire, Hampton Fancher à nouveau au scénario et avec Ryan Gosling au casting aux côtés d’Harrison Ford lui aussi de retour – est à la fois excitante et effrayante, en effet, que pourra dire Blade Runner 2 que n’a pas dit ou montré le premier ? Réponse d’ici la fin de l’année 2016. Je tiens aussi à vous inviter à (re)lire le roman Do The Androïds Dream of Electric Sheep ?, du regretté Philip K. Dick, dont Blade Runner est l’adaptation. Je n’ai pu en parler ici comme il se doit, de K. Dick, cet auteur paranoïaque père des plus grandes œuvres de Science-Fiction, qu’on peut retrouver au cinéma avec Minority Report, Total Recall, mais si l’on a du plaisir à le voir, on se doit surtout de le lire.

            Pour terminer, revoir Blade Runner, c’est aussi l’après-séance, alors que l’on sort de la salle obscure, on rentre chez soi, ou on se promène, ou on va en cours, encore perturbé, effrayé, émerveillé, au regard bouleversé car révélé et réveillé – tel cet œil sur lequel la ville se réfléchit au début du film -, et croyez-moi il ne cessera de vous suivre, hantant et illuminant vos rêves, ainsi que votre vie, à travers les nombreuses expériences – réflexives ou concrètes, telles que l’expérience d’une métropole la nuit par exemple – et choix que vous vivrez.

(Re)découvrez aussi le film avec le très beau Blow-Up de la ciné-vidéaste plasticienne Johanna Vaude.

FICHE TECHNIQUE : Blade Runner

Réalisateur : Ridley Scott

Scénario : Hampton Fancher, David Peoples d’après le roman Do The Androïds Dream of Electric Sheep ? de Philip K. Dick, publié pour la première fois en 1968
Casting : Harrison Ford (Deckard), Rutger Hauer (Roy Batty), Sean Young (Rachel), Daryl Hannah (Pris), Brion James (Leon Kowalski), Edward James Olmos (Gaff), Joe Turkel (Eldon Tyrell), William Sanderson (J.F. Sebastian)
Genre(s) : Science-Fiction, Thriller
Nationalité : U.S.
Date de sortie : 25 Juin 1982 pour la première version officielle américaine, 2007 pour la Final Cut.

Durée : 116 minutes en 1982, 117 en 2007
Photographie : Jordan Cronenweth
Décors : Lawrence G. Paull

Costumes : Michael Kaplan et Charles Knode

Maquillage : John Chambers et Marvin Westmore

Design : Syd Mead
Montage : Marsha Nakashima et Terry Rawlings
Musique : Vangelis
Producteurs : Michael Deeley, Hampton Fancher et Brian Kelly
Production : The Ladd Compagny, Warner Bros
Distributeurs : Warner Bros