© Copyright Sarah Anthony

L’art à l’ère du digital : vers l’e-art ?

On entend beaucoup parler de ce « digital » qui envahit nos vies en même temps que notre société. Les moyens de communication en sont révolutionnés, les emplois bouleversés, les moyens de création décuplés… avec logiquement un impact sur l’art, en constante évolution depuis les peintures rupestres de Lascaux.
Si auparavant, les techniques artistiques évoluaient lentement, elles ne sont pas imperméables à la rapidité du digital. Est-on en train de migrer vers un nouvel art, vers l’e-art ? Comment se crée, se regarde et se diffuse l’art à l’ère du digital ?

Une évolution aux sources de l’art : les techniques en mutation

L’art a toujours évolué avec le perfectionnement des outils, ses techniques étroitement liées à l’établissement géographique et historique des artistes. La sculpture se diversifiant, passant de la taille directe sur bois et du façonnement de la glaise à la patience du travail de la pierre et la complexité de la fonte du bronze. La peinture suivant une évolution similaire : retables sur bois, apparition de la dorure, règne de la peinture à l’huile menant à une profusion de courants artistiques se suivant ou se chevauchant… Jusqu’à l’invention de la photographie, concurrence forçant la peinture à évoluer, sur la toile, mais aussi dans le tube, avec l’apparition de l’acrylique des années 30 à 50, selon les pays. La technique encore récente de la photographie sera bientôt également bouleversée, l’argentique relégué à des effets de style, au profit du numérique, qui démocratise la photographie dans les années 1990.
Les évolutions lentes et séculaires n’ont fait que s’accélérer, allant de pair avec les moyens de communication. Ceux-ci, modifiés dans leurs fondements par le digital, par les possibilités quasi-infinies d’Internet, sont lancés dans cette course au toujours plus rapide : emails, messagerie instantanée, appels et vidéos par internet, etc. C’est le toujours plus. Et l’art, pas en reste, fait de même, en commençant par ses média. De nouvelles techniques artistiques font leur apparition et le nouvel outil de l’artiste semble être l’informatique. Modélisation sur ordinateur, imprimante 3D, dessin digital, logiciels de graphisme, vidéos, projections, les possibilités se multiplient et les oeuvres d’art revêtent le nouveau visage du numérique.

Un art pensé par et pour le digital 

Au-delà des techniques, l’art subit une véritable influence par les potentialités du digital. Plus besoin de se déplacer au musée, l’art est partout sur internet : chefs-d’oeuvres de l’histoire de l’art photographiés et déposés sur la toile, ou oeuvres d’artistes méconnus, amateurs ou non, qui diffusent et donnent à voir leur travail sur leur site internet, ou mieux depuis l’apparition des réseaux sociaux : sur Facebook ou Instagram. L’art peut être commenté, partagé, liké, enregistré, diffusé… Aussi bien les artistes en mal de reconnaissance que ceux en mal d’inspiration se retrouvent sur ces plateformes aux milliards d’utilisateurs où le bon hashtag peut déclencher une vente ou un abonnement.
Ce n’est pas l’oeuvre qui est partagée et vue par des milliers de personnes : c’est sa photographie, qui doit parvenir à la mettre le plus en valeur possible. C’est ainsi que l’art finit par être pensé en amont pour la photo, pour le rendu numérique. Et peu importe si une reproduction n’a rien à voir avec le fait de voir l’oeuvre en réel, – à l’instar des oeuvres de Mark Rothko, exemple frappant – le digital se glisse dans le processus créatif avant même la conception de l’oeuvre : on crée pour la diffusion sur le réseau. On crée par rapport à ce qui plaira, par rapport à comment rendra l’oeuvre en photo, par rapport à ce qui sera liké et repartagé.
Certaines oeuvres, celles réalisées en digital, trouvent en ces publications sur réseaux sociaux une excellente vitrine : puisqu’elles n’existent pas de manière matérielle, la diffusion en digital les montre donc telles qu’elles ont été créées, avec les mêmes moyens (résolution, profil de couleurs, etc.) pour un résultat optimal.

Un art accessible à de nouveaux publics 

La conséquence positive, on l’aura aisément compris, c’est un public plus large touché, la possibilité en tant qu’artiste de montrer son art au monde entier, mais aussi celle, en tant qu’amateur d’art, de ne pas être limité à son cercle géographique pour découvrir des oeuvres d’art, de nouveaux talents à suivre.
En ces temps de confinement, on évoque beaucoup les expositions virtuelles, accessibles à tous via une connexion internet. Les annulations n’ont pas lieu : les manifestations artistiques sont diffusées à travers les écrans, et ainsi, confiné, l’on peut s’évader et se cultiver depuis chez soi. La culture devient donc plus accessible, moins chère, moins réservée à une élite. Elle devient aussi plus confortable : depuis son canapé, à l’heure qu’on veut.
Hors confinement, le glissement de l’art dans l’univers du digital permet aussi des ventes internationales, une communauté d’acheteurs ou d’amateurs issue du monde entier, soit par le biais de son propre site, son propre réseau social, mais aussi à travers ces nouvelles galeries d’art en ligne, qui pullulent, presque toutes des start-ups créées par de jeunes passionnés d’informatique et d’art, souhaitant révolutionner la vente d’oeuvres et rendre l’art accessible aux moins fortunés, aux moins connaisseurs.

L’impact de cette rencontre inévitable est donc, comme un peu tout ce qui touche au digital, à double-tranchant, positif comme négatif selon l’usage qui en est fait : réduction des techniques traditionnelles et émergence de nouvelles pratiques artistiques, perte d’authenticité et gain d’accessibilité…
Le digital, par ses potentialités démultipliées, par sa rapidité, par son côté envahissant dans notre vie quotidienne se fait aisément remarquer comme ce phénomène qui impacte, qui bouleverse, mais il n’est finalement que la suite logique d’une évolution de l’art qui a commencé depuis la nuit des temps et qui n’a contribué qu’à le démocratiser toujours plus.