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Velue, ou les surprises de la maternité

Signé Tanx, voici une BD qui ne recherche pas la séduction par l’esthétique, mais qui pose malgré tout la question de la séduction. Comment vit-on lorsqu’on n’entre pas dans une case acceptable aux yeux de la société ?

En pré-introduction, sur une planche juste après la page de garde, une main tient une poupée du type Barbie, symbole de la féminité pour beaucoup. Cet album joue de cette représentation symbolique en lui opposant son contraire (visible dès l’illustration de couverture montrant en très gros plan un visage où les traits manquent de finesse, la dentition se révélant presque menaçante). L’introduction, sur trois planches montre deux alpinistes en 2015 (date de l’album) à la recherche d’un ours et très surpris de ce qu’ils trouvent dans une caverne.

Isabelle

L’album détaille l’histoire d’Isabelle, dont le prénom souligne un vœu familial malheureusement contrarié. La fillette affiche un physique assez ingrat : tête un peu grosse aux traits assez épais et un manque de finesse général qui la rend franchement boudeuse. Isabelle vit seule avec son père qui se montre maladroit avec ses décisions radicales. Les grands-parents d’Isabelle ne se gênent pas pour rappeler à leur fils ce qu’ils lui avaient conseillé avant qu’il ne soit trop tard. Partie (pourquoi ?), que devient la mère d’Isabelle ?

Apprentissage de la différence

Le physique d’Isabelle commence à poser de vrais problèmes et son père la retire de l’école. Le titre de l’album ne laissant aucun doute sur la nature du souci, on peut dire qu’Isabelle voit son système pileux se développer de manière envahissante, symbole de tout ce qui peut bouleverser la norme et donc attirer l’opprobre sur elle. On sait combien la nature humaine peut rejeter (violemment) tout ce qui s’écarte de ce qui est communément admis et pratiqué. L’enfance est particulièrement révélatrice et difficile, une période où tout se forge mais où le regard des autres compte énormément. Avec l’adolescence, Isabelle tente de masquer sa différence en se rasant intégralement plusieurs fois par jour. Elle fait ce qu’elle peut, mais la pression exercée par la société à laquelle elle « appartient » se révèle très forte. Très révélateur : ce dessin qui circule avec comme légende « Max saute le maximonstre », jeu de mots qui fait référence à un livre jeunesse marquant.

Trouver sa place

Isabelle va devoir faire preuve de beaucoup d’ingéniosité et de discrétion pour trouver sa place dans cette société impitoyable pour celles et ceux qui s’écartent de la norme. Le scénario montre que la personnalité d’Isabelle va se construire en fonction de ce qu’elle est au plus profond de sa chair, mais aussi selon ce qu’elle vit, les réactions qu’elle observe au jour le jour et aussi en fonction de son héritage familial (génétique).

L’abominable homme des neiges

L’album fait clairement référence au Yéti tel que tous les amateurs de BD se le rappellent grâce à Tintin au Tibet, ainsi qu’à toutes les légendes qui tournent autour. Animal ou bien sorte d’ancêtre de l’homme ? Pourquoi personne ne le voit jamais ? Qu’en penser d’après les traces que certains disent avoir observées ? Pourquoi cette discrétion alors que tout indique que sa taille le rend suffisamment impressionnant pour n’avoir pas grand-chose à redouter et surtout pas un humain isolé ? Ceci dit, il semblerait qu’il se comporte comme un animal sauvage, donc très vulnérable face à un chasseur armé. Ses seules armes seraient donc son physique impressionnant, sa capacité à effrayer et sa connaissance du terrain difficile qu’il a choisi pour mener son existence en solitaire.

Réflexion sur la séduction

Avec cet album de type BD indépendante (noir et blanc avec une nuance de gris, 22,5 x 16,7 cm pour 86 pages non numérotées), Tanx (qui un temps signait Tanxxx) ose la (séduction par la) provocation, avec une BD qui ne cherche pas à caresser dans le sens du poil (Isabelle ne correspondra jamais aux critères esthétiques de ses « semblables »). L’artiste cherche ici à faire réagir lectrices et lecteurs par rapport aux normes en vigueur dans notre société. Elle le fait à sa manière, déterminée et intelligente, sans chercher à faire dans la finesse. Son message aura surtout de l’effet auprès d’un public relativement jeune (mais pas que), plutôt adolescent et particulièrement sensible à tout ce qui fait les différences et la difficulté de s’accepter tel qu’on est. Le trait est à l’avenant, très expressif. Le scénario fait monter la tension avec une maîtrise narrative de bon aloi. Pour l’essentiel, l’album présente des planches comportant trois bandes, divisées généralement en deux-trois vignettes chacune. Mais pour la respiration et pour mettre en valeur certains moments, Tanx se permet des vignettes plus grosses et des zones blanches. On sent bien comment et pourquoi Isabelle va devenir une sorte de monstre. Et le dernier chapitre intitulé « La sagesse » montre avec sensibilité et pudeur, la place qu’Isabelle finit par trouver dans ce monde cruel.

Velue, Tanx
Six Pieds sous Terre, septembre 2015, 88 pages

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3.5