Le précédent album de la série (Luc Leroi, plutôt plus tard) datant de 2016, c’est plutôt une bonne surprise de découvrir celui-ci. Après sept ans de réflexion, Jean-Claude Denis retrouve l’inspiration concernant son personnage fétiche. Pour quel résultat ?
Disons-le tout net, Jean-Claude Denis n’est pas en phase ascendante et sa récompense (Grand Prix) au festival d’Angoulême 2012 arrivait sans doute à temps pour mettre en valeur un dessinateur à la personnalité originale. Il doit malheureusement faire figure d’ancien combattant aux yeux des amateurs.rices de super-héros et des séries japonaises de manga. De manière générale, ce que présente Jean-Claude Denis doit apparaître un peu gentil aux habitués de ces univers où la violence tend à se banaliser. Non que la violence n’existe pas ici, car Jean-Claude Denis s’inspire de la réalité, mais il s’intéresse plutôt à de la violence plus morale et/ou psychologique.
L’histoire
Le titre n’est finalement qu’un prétexte, pour un début d’intrigue jamais développé, Luc Leroi bénéficiant d’un concours de circonstances pour vendre un livre de nouvelles portant le même titre que celui d’un écrivain à succès. Bien entendu, Luc reste un illustre inconnu (son livre n’a bénéficié d’aucun écho dans la presse), ce qui ne l’empêche pas d’être édité et même d’avoir perçu une confortable avance sur recette. Luc vit toujours à Paris, dans un petit appartement sous les toits et il converse régulièrement sur Internet avec sa copine Alinea restée à Tahiti. Pour une fois, il semble même fixé sentimentalement. C’est alors que débarque Stéphanie, une de ses ex (vue dans plusieurs histoires), blonde imposante aussi bien par le physique que par le caractère : elle est bien plus grande que lui. Sous la menace d’une expulsion de son logement car elle ne peut plus payer son loyer, elle demande l’hospitalité pour elle et le petit Brian (argument massue : « Il pourrait être ton fils ! »). Ce serait l’affaire d’une nuit. Il s’avère que Brian est le fils de l’actuel compagnon de Stéphanie. Nous voilà confrontés avec le monde de celles et ceux qui risquent de devenir des sans-abri, voire des marginaux, car telles sont les fréquentations de Stéphanie. Bien évidemment, Luc est incapable de résister aux arguments de Stéphanie et le voilà bien malgré lui à cohabiter avec cette jeune femme dont il connaît bien le caractère, Brian faisant une fixation sur sa Kalachnikov en plastique. Pour remercier Luc, Stéphanie se met en tête de faire le ménage et elle passe l’aspirateur un peu partout, ce qui n’est évidemment pas un luxe. Ceci dit, elle a son idée derrière la tête… L’autre élément déterminant dans l’intrigue générale, c’est l’irruption d’un chien errant dans la vie de Luc. Dans un parc où il mangeait tranquillement, ce chien se dirige vers Luc comme si c’était son maître. Le chien se montre particulièrement fin (par la suite, il fera preuve de capacités hors du commun) en choisissant Luc et son bon cœur à l’instinct.
Luc Leroi, neuvième
Cet album n’arrive pas à la cheville du meilleur de la série (à mon avis) : Le Nain jaune (1986). Ici Jean-Claude Denis propose une nouvelle variation des aventures de Luc Leroi, éternel insatisfait poursuivi par les ennuis ainsi que par les femmes. Le petit rouquin au grand cœur et à l’inspiration tout juste suffisante pour le faire vivre de sa plume, enchaîne encore les péripéties qui le voient subir des tracas en série. On remarque néanmoins que ces tracas manquent un peu d’originalité par rapport à ceux des albums précédents. À l’image d’un trait légèrement moins sûr et des couleurs un peu moins personnelles, on sent que Jean-Claude Denis s’essouffle quelque peu. Heureusement l’état d’esprit, inchangé, donne un résultat agréable. À noter un petit cahier en fin d’album comprenant quelques illustrations originales : des dessins de travail dont l’auteur dit qu’ils sont à l’échelle. Dans un court texte de présentation, il explique que son inspiration ne va pas systématiquement vers ce personnage de Luc Leroi (voir l’ensemble de sa production), mais que parfois cela s’impose à lui progressivement. Gageons qu’il se trouvera encore suffisamment d’amateurs.rices du dessinateur et de ses personnages (dont Gilbert, l’ami régulièrement encombrant qui risque de le devenir encore plus… à sa manière) pour justifier cet album où Jean-Claude Denis, à défaut d’une inspiration hors normes, montre une nouvelle fois un réel savoir-faire au service d’une ambiance typique.
Luc Leroi : Un effet d’aubaine, Jean-Claude Denis
Futuropolis, août 2023