Adaptation graphique du roman éponyme de Mario Bellatin, Salon de beauté déploie une réflexion intime et métaphorique sur des thèmes aussi graves que la maladie, la sexualité et l’exclusion sociale. À travers un récit visuellement puissant, qui opère une jonction entre des poissons malades et les manifestations physiques du SIDA, Quentin Zuttion relate les épreuves et la solidarité d’une communauté souvent marginalisée.
Dès les premières pages, le roman graphique de Quentin Zuttion nous invite à considérer la maladie selon des codes graphiques métaphoriques. Le SIDA qui se répand comme une traînée de poudre dans la communauté homosexuelle n’est jamais clairement identifié, mais plutôt suggéré par des indices visuels et un parallèle établi avec les poissons malades dans les aquariums d’un salon de beauté – celui dans lequel travaillent Jeshua et ses amis, coiffeurs et esthéticiens. Ce parti pris permet d’universaliser le récit, de le détacher de toute temporalité précise – quand bien même on la devine – et de déployer un espace de réflexion plus large sur la manière dont nous percevons la maladie, la sexualité et l’identité.
Le véritable tour de force de Salon de beauté réside probablement dans sa capacité à poétiser la maladie sans la nommer. Quentin Zuttion transforme ce qui pourrait être un récit foncièrement sombre en une œuvre graphique où la souffrance et la beauté cohabitent de manière presque harmonieuse. Les sarcomes de Kaposi apparaissent ainsi sous forme de taches colorées sur le corps, qui permettent de rendre la maladie tangible en évitant le piège du pathos. Loin d’édulcorer la réalité, ce procédé graphique permet au contraire de sonder, en seconde intention, les pertes liées à l’infection, mises en miroir avec cet aquarium qui, jour après jour, nous est montré de plus en plus clairsemé.
La beauté et la vulnérabilité des corps masculins sont mises en lumière dans l’album. Bien que touchés par la maladie, les corps y conservent une grâce et une beauté piqués de tragédie. L’homosexualité de Jeshua et ses amis est libre, libertine, mêlée de travestissement, mais interdite au regard des prescriptions sociales. Salon de beauté s’inscrit dans cette zone de flottement, entre désirs et réalités, entre vie et mort aussi. Tandis que la maladie s’installe, effrayant de plus en plus homosexuels et société dans son ensemble, les personnes infectées se voient ostracisées, prises en charge de manière lacunaire – quand elles le sont – et le salon campe bientôt le rôle de refuge pour tous ces hommes au seuil de la mort.
L’érotisme est évidemment présent dans Salon de beauté, mais il est traité avec délicatesse et une certaine pudeur, qui n’exclut toutefois pas les images explicites. Sans schématiser, et encore moins caricaturer, Quentin Zuttion dévoile les dessous d’une communauté mise à l’épreuve, par une maladie dont on ne sait encore rien, ou presque. Le contexte est propice à la résilience, à ce désir de vivre malgré la déchéance des corps.
Salon de beauté fait partie de ces adaptations qui prennent tout leur sens, puisqu’elles exploitent leur versant graphique pour apposer sur l’œuvre originelle un nouveau discours, ici poétique et métaphorique. L’approche narrative est subtile sans faire montre de grande densité, et Quentin Zuttion évoque finalement, de manière très universelle, la lutte des hommes pour une certaine reconnaissance, et surtout pour s’épanouir dans leur sexualité. Un chemin semé d’embûches, dont la maladie et le rejet…
Salon de beauté, Quentin Zuttion
Dupuis, août 2024, 184 pages