Cet album propose une série d’histoires réalisées par Jean-Claude Denis sur une période qui court de 1988 à 2003, bien qu’elles ne soient pas présentées dans l’ordre chronologique. Elles sont au nombre de 17 et font de 1 à 21 planches. Malgré l’aspect anecdotique de certaines, toutes rappellent que le dessinateur n’a pas reçu le Grand prix de la ville d’Angoulême 2012 par hasard. En effet, son style bien reconnaissable ravira les amateurs sur 113 pages.
Le style de Jean-Claude Denis, c’est un trait bien caractéristique et surtout un usage des couleurs bien personnel. On notera qu’au cours de cette quinzaine d’années, le dessinateur a expérimenté pas mal de variations plus ou moins séduisantes, avec un trait plus ou moins fin (suivant la hauteur de ses bandes), mais aussi des couleurs plus ou moins sombres (il affectionne en particulier les ambiances nocturnes, mais aussi la luminosité du plein été dans le midi). Mais, outre le dessin, il y a un état d’esprit, puisque le dessinateur s’amuse régulièrement à ironiser sur les comportements de ses semblables. Il les présente souvent sous la forme de groupes plus ou moins constitués, dans des situations assez invraisemblables, ou bien confrontés à un imprévu qui peut tourner à la catastrophe. C’est alors l’occasion d’enchaîner les petits désastres, ce qui est souvent amusant. Quand l’actualité l’inspire (le bug de l’an 2000 ou encore la coupe du monde de football 1998), il s’arrange pour le faire de manière indirecte, à sa manière. Et puis, Jean-Claude Denis glisse une allusion pour amateurs de temps en temps. Ainsi, dans Un frère humain (1999), l’histoire qui ouvre cet album (une position qui ne doit certainement rien au hasard), un garçon d’une dizaine d’années qui intervient brièvement est le portrait craché de Luc Leroi, son personnage fétiche, bien qu’il porte un autre nom. Autre clin d’œil dans la même histoire, l’un des personnages ressemble par bien des points (physique, état d’esprit) à Gilbert, l’un des personnages récurrents de la série Luc Leroi.
Des choix significatifs
Le titre de l’album, qui paraît plus d’un an après le début du confinement, donne une idée de l’état d’esprit du dessinateur. La crise de la Covid-19 n’est pas encore terminée, mais on sent bien qu’il y aura un avant et un après. Sans doute avec l’accord de son éditeur d’aujourd’hui, l’auteur considère que c’est le bon moment pour proposer cet album constitué d’histoires déjà parues ailleurs (pour la plupart), mais pas en album et donc assez méconnues. En jouant sur la nostalgie, il rappelle par ces anecdotes, l’ambiance du monde d’avant cette crise. L’utilisation du mot reliefs suggère qu’on vivait dans une société de consommation (idée de restes d’un repas) et que l’auteur a apporté sa touche personnelle pour ironiser sur les comportements dans ce type de société. On peut aussi y voir la crainte que le Nouveau monde qui s’annonce se révèle bien plat par rapport à l’Ancien (et ses reliefs). On remarque aussi que le dessinateur signe Jean-C. Denis comme il l’a souvent fait, surtout en première partie de carrière.
Organisation de l’album
L’album fonctionne par touches successives dont il vaut mieux profiter tranquillement, ce qui permet éventuellement au lecteur (à la lectrice) d’apporter sa modeste contribution personnelle pour freiner le jeu infernal de la consommation irréfléchie. Le choix de la répartition des 5 titres en 1 planche tout au long de l’album, dont 4 sont le résultat d’une seule et même commande, incite à la dégustation.
Le bonus des notes de l’auteur
En fin d’album, quatre pages donnent des indications à propos de chaque titre, ce qui apporte des informations pas si anecdotiques que ça. On y apprend par exemple pourquoi le dessinateur a quitté un éditeur. Le plus émouvant, sans doute, est ce que dit Jean-Claude Denis à propos d’une photographie représentée à la fin de Le petit mur de l’Atlantique (1988), dont l’aspect autobiographique ne fait aucun doute. Cette photographie le montre adolescent sur un banc à côté d’une fille qu’il comptait revoir l’été suivant, aux prochaines grandes vacances. L’histoire ne dit pas pourquoi, mais il ne l’a jamais revue. Par contre, quand Jean-Claude Denis est venu récupérer ses planches originales pour la présente édition, il a appris auprès du (très compétent) service d’archives de l’éditeur en question (Dargaud) que la personne figurant sur la photo à ses côtés, avait appelé au moment où l’histoire est parue. Malheureusement, personne n’avait eu la présence d’esprit de l’en avertir. On apprend également tout l’aspect technique du travail qui a été nécessaire pour pouvoir présenter Route de corniche (1994), qui n’était paru que dans un magazine japonais, ce qui confirme le vif intérêt de l’auteur pour ce pays (voir Le nain jaune dans la série Luc Leroi).
Les facettes d’un caractère
Enfin, Jean-Claude Denis peut se montrer franchement grinçant à l’occasion. Généralement sur un ton assez léger qui lui convient bien, avec par exemple Un chien de ma chienne (1992), mais en poussant aussi du côté de l’humour noir, avec Un oiseau de malheur (1995). Et il ironise en finesse avec un jeu de mot qui tombe pile-poil dans le bien nommé Un monde meilleur (1998), en une planche pour conclure l’album.
Reliefs de l’Ancien monde, Jean-Claude Denis
Futuropolis, juin 2021, 120 pages