Maudite baleine, selon Giovanni

Cet album présente l’histoire à double entrée de Giovanni, jeune soldat italien déjà marqué. Son affectation étonnante lui vaudra un nouveau plongeon dans la cruelle réalité de la Seconde guerre mondiale, mais également des perspectives exaltantes inattendues.

Marin sorti de l’hôpital (on considère qu’il n’a rien, alors que manifestement il est un peu ailleurs, marqué par les horreurs de la guerre), Giovanni est affecté sur un navire, l’Accadia (lui parle du Saccadia et au bistrot on évoque le Kosbörg), où il va faire office de cuistot. Mais il intègre un équipage surprenant, avec notamment le capitaine qui ne semble pas mesurer la gravité de la situation (avec la guerre, le bateau risque de se trouver en plein combat, surtout que les attaques aériennes se rapprochent). En effet, Giovanni comprend rapidement que si le nombre de repas commandés excède le nombre de personnes officiellement présentes sur le bateau, c’est tout simplement parce que le capitaine est avec sa fille, Liliana, qui occupe une cabine à l’insu de l’équipage. Le capitaine réalise-t-il qu’il pourra difficilement conserver le secret auprès de Giovanni ? Toujours est-il qu’il lui demande d’apporter un plateau repas à la jeune fille qui a besoin de voir du monde. Mais, si on ne connait pas l’âge du capitaine, ce dernier indique à Giovanni celui de sa fille : 15 ans, comme s’il voulait lui faire sentir qu’il doit se méfier (en gros : « Pas touche ! »).

Entre lucidité et délires

Mais cette histoire nous est contée selon le point de vue d’un Giovanni mal en point sur son lit d’hôpital (situation forcément postérieure à sa rencontre avec Liliana). On peut se demander s’il ne serait pas victime d’hallucinations, surtout quand on constate qu’il dialogue avec une mouette (qui parle !). Nous avons donc droit à la rencontre de Giovanni avec Liliana, jeune fille dont le comportement apporte un doute sur son âge réel. Il faut dire que Liliana se montre charmante et charmeuse et surtout qu’elle n’a pas froid aux yeux. Giovanni pourra-t-il résister à la tentation ? Ceci dit, on peut se demander ce que Giovanni fait sur un lit d’hôpital. Par la même occasion, on peut se demander ce que devient Liliana à ce moment-là. Et comme la situation de Giovanni est un peu floue à cause de son état, les questions ne font que s’accumuler.

Étrangeté assumée

Avec ce roman graphique, l’Italien Walter Chendi étonne, à défaut de produire un chef-d’œuvre. D’abord, il prend son temps pour raconter son histoire (142 planches), et n’hésite pas à aérer le récit (parfois sans dialogue), sur un format relativement grand (30,4 x 23,2 cm). Et puis, il introduit le doute dans l’esprit du lecteur (de la lectrice), dès la première planche, en introduisant une touche de fantastique avec cette mouette qui parle. Il renforce la sensation de monde flottant en narrant cette histoire comme une succession de souvenirs de Giovanni qui alterne les moments de lucidité et les moments où son esprit divague (visiblement, il ne s’agit pas que de simples périodes de sommeil). Surtout, le dessinateur réussit à faire un parallèle étonnant entre la vie de Giovanni à l’hôpital et les souvenirs qu’il évoque. Tout cela renforce l’impression d’étrangeté, car les souvenirs de Giovanni soulignent son désordre mental (ça se mélange entre les souvenirs récents, ceux de son enfance, son arrivée sur le bateau et ce qu’il se souvient de Liliana).

Giovanni et Liliana

Entre eux, une complicité particulière s’établit, un peu hors du temps, puisqu’ils doivent continuellement se cacher. Mais Liliana est une observatrice finaude, qui sait comment s’y prendre, aussi bien pour entraîner Giovanni dans ses initiatives que pour investir les lieux qui l’intéressent sur le bateau quand personne n’y traîne. Et puis, elle s’arrange rapidement pour exercer sur Giovanni un pouvoir dû à sa séduction, faite d’un mélange de charme, de naturel et d’espièglerie. Ceci dit, elle affiche également une belle présence d’esprit lorsque c’est nécessaire. On peut considérer que, sur son lit d’hôpital, Giovanni peut la remercier. Pourtant le jeune homme n’en a jamais l’occasion et surtout il n’est pas à l’hôpital par hasard. D’ailleurs, il observe très régulièrement l’infirmière, madame Orphin, qui s’occupe de lui ainsi que de son voisin de chambre, dont il sent bien qu’il est en plus mauvais point que lui.

Pour conclure

À noter que Walter Chendi s’inspire pour cette histoire des souvenirs de son père, jusque dans la chute de l’album. Quant à la baleine du titre, elle me semble symbolique du malaise propre à Giovanni alors qu’il s’approche du navire où il est censé trouver une affectation relativement tranquille, lui permettant de retrouver ses esprits.

Maudite baleine, Walter Chendi
Mosquito, février 2022
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3