Deux albums voient le jour aux éditions Lapin. Le premier est un Petit Manuel antiraciste pour les enfants signé de la main de Rakidd (Rachid Sguini). Le second est une succession de strips à trois vignettes, frayant avec le non-sens et la dérision.
Dans son Petit Manuel antiraciste pour les enfants, Rachid Sguini use volontiers de l’humour pour présenter des notions forcément absconses aux yeux du jeune public. Le blackface, datant des spectacles de « minstrel show », l’intersectionnalité, là où les discriminations s’entrecroisent et se juxtaposent, ou encore le colorisme, c’est-à-dire le fait de juger les autres en fonction de leur couleur de peau, se trouvent ainsi vulgarisés à l’aide de dessins et de traits humoristiques. Traités sous forme de fiches didactiques, ces sujets en côtoient d’autres dont la récurrence est plus importante dans notre quotidien : les compliments racistes, l’islamophobie, les discriminations à l’embauche, la sempiternelle doléance selon laquelle on ne peut plus rien dire ou encore les publicités racialement connotées. Contraint de demeurer à la surface des choses par le format choisi et le public ciblé, l’auteur enrichit toutefois son propos de certaines statistiques édifiantes : 70% des victimes d’actes islamophobes en France sont des femmes, 60% des Français pensent que les Roms exploitent les enfants, 34% des Français estiment que les Juifs ont un rapport particulier à l’argent, etc.
Atsemtex n’a pas la même prétention pédagogique. Ses bandes s’inscrivent souvent à la lisière de l’absurde et dépeignent une société gouvernée par le non-sens et la déraison. Très inventif, STPo part parfois de rien, ou presque, pour nous faire sourire : une expression interprétée trop littéralement, des parents communiquant maladroitement avec leurs enfants, une aristocratie ou un pouvoir politique dont on grossit délibérément les traits… On découvre dans l’album toutes sortes de situations : une maman expliquant à son enfant qu’il faut travailler dur à l’école pour ne pas connaître le même dénuement qu’un sans-abri, avant que ce dernier ne l’interrompe en lui signalant qu’il possède en fait un doctorat en sociologie ; un hipster répondant à son médecin, qui lui demande d’estimer sa douleur sur une échelle de un à dix, qu’il considère les notes comme un moyen d’oppression ; une mère donnant des conseils sentimentaux borderline à sa fille ; un golfeur bien né se plaignant éhontément du risque hypothétique de tout perdre…
Ces deux petits albums, qui se lisent d’une traite, ont en commun une tonalité légère qui contraste avec la gravité des sujets qu’ils évoquent. Cela est d’autant plus vrai pour Le Petit Manuel antiraciste pour les enfants, qui parvient à s’opposer à la banalisation des préjugés et des discriminations sans jamais se montrer pesant. Dans un registre sensiblement différent, Atsemtex prend langue avec un monde absurde, dont les travers successifs se font jour en deux récits de trois vignettes par page. Malgré un format plutôt chiche, tant Rachid Sguini que STPo donnent à voir une grande variété de situations. Cela permet au premier de livrer un portrait détaillé (mais non exhaustif) du racisme, et au second de se promener dans les interstices d’une société malade, décrite tour à tour comme névrotique, anxiogène, inégalitaire ou divisée. Dans les deux cas, l’entreprise se solde par une belle réussite.
Le Petit Manuel antiraciste pour les enfants, Rachid Sguini
Éditions Lapin, septembre 2021, 80 pages
Atsemtex, STPo
Éditions Lapin, septembre 2021, 80 pages