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« L’Alibi » : ailleurs, ou rien

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Phileas publient l’anthologie L’Alibi, qui regroupe dix récits d’une grande pluralité graphique.

L’Alibi est une anthologie qui réunit rien de moins que Séverine Lambour, Hugues Labiano, Jimmy Beaulieu, Laurent Astier, Olivier Berlion, Benoît Blary, Richard Guérineau, Xavier Bétaucourt, Benoît Springer, Étienne Le Roux, Vincent Froissard, Laurent Galandon, Jack Manini, Jeanne Puchol et Thierry Robin. Tous ces illustrateurs et scénaristes tournent autour d’un même thème : l’alibi, qui disculpe un coupable, qui se marchande, qui mystifie ou qui confond, que l’on plaide ou que l’on tait.

L’album s’ouvre avec l’excellent « Alibi en rouge ». Ce qui ressemble au départ à une descente du KKK pour débusquer un « noiraud » est en fait une relecture tragico-romantique du conte Le Petit Chaperon rouge. Avec une ironie mordante, Thelma Redhood, une oie blanche, va exercer une vengeance posthume sur ceux qui l’ont injustement privée de l’amour de sa vie. Une même ironie préside au récit de « Mon cadavre pour alibi » et de « L’œil était dans la tombe ». Le premier raconte l’histoire de deux jumeaux, dont l’un, le bien nommé « Nobody », n’a aucune existence légale, avec tous les jeux de duplicité que cela peut occasionner, entre intrigues familiale, mafieuse et professionnelle… Le second se penche sur le jugement final d’un faux bienfaiteur de l’humanité.

Les bonnes surprises affluent en cours de lecture. « S.O.S Alibi » a quelque chose de décapant : un mari trompe sa femme et recourt aux services d’une agence spécialisée pour lui mentir… sauf que cette dernière fait exactement pareil ! « Contre tout alibi » radiographie un couple hautement dysfonctionnel : Simone et Serge se détestent tout sauf cordialement, au point de se coller des petits mots affectueux sur le réfrigérateur : « Cette nuit, j’ai rêvé que tu te noyais dans ta poche de pisse. J’ai joui ! » Non contente d’exaspérer son mari, Simone le fera jusqu’au bout… et même au-delà !

Les textes d’Anaïs Bon viennent compléter utilement – et cyniquement – ces petites bulles fictionnelles, tantôt classiques sur la forme, d’autres fois plus proches de l’exercice de style, ou plus affirmées sur le plan stylistique. Avec « Salut, je dois partir » ou « Champion » , on touche à l’absurde. Avec « Troubles de voisinage », le lecteur fait face à un personnage mi-attachant mi-révulsant, puisqu’un vieillard sénile, insoupçonnable, se rend coupable d’un meurtre dont il ne se souvient probablement pas.

Cette anthologie cuisinant l’alibi à toutes les sauces est plurielle dans son art mais plutôt cohérente dans la tonalité adoptée et la qualité des récits proposés. Et si alibi il y a, c’est que l’homme – ou la femme ! – doit se protéger d’une chose qui a, disons, dérapé. Forcément, cela amène les auteurs à sonder la nature humaine dans ce qu’elle peut montrer de plus pathétique et tragique. C’est un peu l’argument qui sous-tend tout l’album : que peut-on faire valoir quand on est mis en face de nos responsabilités, de nos lâchetés, de nos crimes ? Quoi qu’il en soit, après le succès du premier recueil (Le Crime parfait), les éditions Philéas parviennent une nouvelle fois à faire mouche.

L’Alibi, collectif
Phileas, novembre 2023, 120 pages

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