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« Derrière le rideau » : dissonances cognitives

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Les éditions Steinkis publient Derrière le rideau, de Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez. Les auteurs y mettent en scène un couple pour le moins célèbre, Simone Signoret et Yves Montand, en partance pour une tournée au-delà du rideau de fer, où leurs sympathies communistes vont se heurter aux réalités d’une dictature implacable.

Des écrivains jetés derrière les barreaux, des chars investissant les rues de Budapest, des salles de spectacles réquisitionnées au dernier moment, des signes apparents de pénurie et de pauvreté, des journalistes aux ordres colportant des mensonges inventés de toutes pièces… Durant leur tournée en Europe de l’Est, alors communiste, Simone Signoret et Yves Montand voient leurs sympathies politiques mises à rude épreuve. Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez narrent la relative cassure qui apparaît dans le couple : tandis que la comédienne prend rapidement conscience des faux-semblants d’un régime autoritaire, son compagnon, acclamé à chaque représentation, peine à dessiller les paupières…

Gratifié de dessins en noir et blanc plutôt sommaires (les arrière-plans sont ainsi souvent vides ou hachurés), Derrière le rideau s’appuie en revanche sur un scénario solide, échafaudé avec soin, et contextualisant assez brillamment la visite de Simone Signoret et Yves Montand dans l’Europe communiste. En France, le couple aux origines sociales diverses (spécificité creusée dans l’album) fait face aux intimidations des fascistes, qui finissent par convaincre les deux comédiens de se produire derrière le rideau de fer malgré les événements en Hongrie, où une insurrection est réprimée avec force, et bientôt dans le sang. Là-bas, la police secrète n’est jamais loin, leur image est exploitée par la propagande et le périmètre de leur tournée ne cesse de changer.

Si Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez révèlent par bribe les dessous du communisme – et de ses défaillances politiques, sociales ou économiques –, ils s’attachent surtout à portraiturer un couple pris au piège de ses propres convictions, capable de demander des comptes aux élus et représentants qu’il croise – dont Khrouchtchev en personne – mais jamais d’infléchir le cours des événements et de prendre la pleine mesure de la marche de l’Histoire (en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie…). Derrière le rideau organise ainsi un dialogue impossible entre l’authenticité d’un engagement et l’hypocrisie de son détournement. C’est précisément dans ces interstices politiques qu’Yves Montand, mais aussi sa compagne, vont devoir se mouvoir, parfois à grand-peine.

Les personnalités culturelles peuvent-elles échapper aux tentatives de récupération politique ? Doivent-elles être reconnues coupables de croire et défendre des convictions humanistes et altruistes parce que ces dernières se voient dévoyées par des politiciens qui en corrompent les fondements ? Ces deux questions sous-tendent tout le roman graphique de Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez, qui parviennent habilement à mêler la parenthèse biographique (une visite de Simone Signoret et Yves Montand) et l’Histoire mondiale du XXe siècle.

Derrière le rideau, Xavier Bétaucourt et Aleksi Cavaillez
Steinkis, septembre 2022, 120 pages

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