Étrange cocktail que les addictions et l’écriture. Dans la littérature de Stephen King, cette addiction est incarnée par deux grands romans : Ça et Misery. Analyse et interprétation psychanalytique du côté de chez Freud…
Comment et pourquoi les personnages de Stephen King, faibles et frustrés, deviennent super puissants ?
Stephen King avoue une période de sa vie douloureuse : celle où il était accro aux drogues (1978-1986).
Cependant, l’écriture et les drogues, c’est loin d’être récent, c’était fréquent dans le mouvement surréaliste et même avec Baudelaire.
Nous analyserons donc l’effet des drogues sur l’écrivain mais aussi comment sa dépendance a pu entraîner des œuvres-phares et des personnages incarnant par excellence le Mal, comme Ça dans le roman éponyme et Kathy Bathes dans Misery.
Aussi, nous analyserons quelques personnages adolescents pour y déceler des personnages frustrés qui vont devenir puissants.
Que symbolise cette métamorphose ?
Stephen King et sa double vie (1978-1986)
Stephen King le dit lui-même, il fut addict et accro à l’alcool et aux drogues dures.
L’ auteur ne se souvient absolument pas d’avoir écrit son roman Cujo (1981). Il admet dans Ecriture : Mémoires d’un métier avoir écrit Les Tommycknockers (publié en 1987 mais écrit à partir de 1982) durant une période où il était dépendant à l’alcool et à des drogues, dont la cocaïne. Il a réalisé ensuite que le roman était la métaphore de son addiction.
La représentation de cette addiction dans des livres-phares : Ça et Misery. Dans les profondeurs de l’inconscient…
Dans ces années-phares, deux personnages sont l’incarnation de cette addiction, il s’agit du personnage du clown diabolique et monstrueux dans Ça. Le personnage du clown se nourrit de la peur la plus profonde des enfants et parvient à en prendre la forme.
Le personnage dans Ça est un personnage de clown tueur et psychopathe ; il incarne le mal par excellence en proposant une apparence humaine qui paraît de prime abord joviale et heureuse. Le personnage du clown absorbe dans un entre-deux (les égouts) les enfants dont il se nourrit. Les égouts symbolisent un monde intermédiaire entre le monde réel et le monde de la mort. C’est le monde dans lequel le clown vit. Il n’est ni réel ni vivant, il est une projection du mal incarné, le mal qui absorbe les enfants, un auteur qui prend de la cocaïne.
Stephen King va jouer à nouveau avec cette image toute faite dans Misery : Paul Sheldon, le double de l’auteur, vient de terminer son roman et a un accident dans les montagnes en voiture. C’est sa plus grande admiratrice, Annie Wilkes, infirmière, qui va le sauver, prendre soin de lui et devenir sa pire ennemie lorsqu’elle va comprendre, après avoir eu le droit de lire le roman non publié, que son héroïne favorite va être tuée à la fin de l’histoire. Elle va alors séquestrer Paul Sheldon pour l’obliger à modifier la fin de son roman.
Stephen King a déclaré à Rolling Stones en 2014 : « Misery est un livre à propos de la cocaïne. Annie Wilkes est la cocaïne. C’est mon admiratrice numéro 1. »
Le personnage de Annie Wilkes vit à travers l’héroïne du livre de Paul Sheldon. Il s’agit quasiment d’un dédoublement de personnalité. Elle connait tous les romans du romancier par coeur. Elle se transforme d’un coup de l’infirmière gentille et bienveillante en une infirmière menaçante et psychopathe parce que son héroïne préférée meurt. Cette métamorphose de ce personnage incarne bien la drogue : lorsque la personne est saine, elle a un comportement normal et, sous la drogue, son comportement change de manière radicale et devient agressif.
La lutte de Paul Sheldon pour se sauver de chez sa plus grande fan est la métaphore de cette lutte de son alter ego pour se sortir de cette dépendance.
Misery est le dernier livre écrit par l’auteur avant de devenir sobre.
En voyant le nom du personnage « ça », il est impossible de ne pas penser à Freud et à ses concepts psychanalytiques. En 1923, Freud explique à propos du ça : « C‘est la partie la plus obscure, la plus impénétrable de notre personnalité ».
En deux mots, le ça est le réservoir de toutes nos pulsions, il obéit au principe de plaisir, « ignore les jugements de valeurs, le bien, le mal, la morale ».
Du ça naissent le moi (principe de réalité) et le surmoi (interdits comme l’inceste).
Le moi est coincé entre trois dangers : les exigences du ça, la sévérité du surmoi (comme une éducation trop rigide) et les contraintes du monde extérieur (règles sociales).
Si une personnalité est trop fragile et n’arrive pas à surmonter par elle-même, c’est la cassure de l’ordre parfait du psychisme de l’individu.
Nous allons voir que les personnages de Stephen King ont ces caractéristiques, des personnages communs, voire faibles, qui vont soudainement devenir puissants lors d’un changement important, d’une métamorphose dans leur vie. Cette addiction à la drogue donne cette sensation de puissance.
Des personnages faibles et frustrés deviennent des personnages hyper-puissants. Analyse et interprétation
Nous évoquerons ici particulièrement deux personnages-clés : Carrie, dans le roman éponyme (1974), et Arnie Cunningham et sa Plymouth Fury modèle 1958 rouge et blanche dans Christine (1983).
Carrie est une jeune adolescente gentille mais très renfermée, timide et complexée. Sa mère lui inculque une éducation très rigide pour l’époque et pour son âge. Elle ne comprendra pas ce qui lui arrivera sous la douche, lorsque, pour la première fois, elle aura ses règles. Les filles de son lycée la prennent comme bouc émissaire.
A partir de sa transformation symbolique, Carrie se découvre le pouvoir ancien de télékinésie : elle peut, rien que par la force de son esprit, faire déplacer des objets. Comme sous la drogue, Carrie adolescente dominée devient forte après avoir eu ses règles (métamorphose), et c’est elle qui va alors dominer les autres et donc avoir le pouvoir. Ce pouvoir, elle va le garder secret jusqu’au bal du lycée où elle va être élue reine du bal, mais l’élection est truquée et des adolescents ont prémédité leur coup jusqu’a renverser sur Carrie des seaux de sang de porc.
C’est à partir de ce moment-là, où elle est doublement humiliée, qu’elle rentre dans une fureur et active ses pouvoirs. La jeune adolescente timide devient une adolescente terrifiante et meurtrière. Toute la furor des autres qu’elle a subie pendant des années, elle la laisse exploser en bloquant tous les accès de la salle de bal et en laissant les adolescents périr. De retour chez elle, sa mère la poignarde et Carrie la tue avant de décéder en faisant arrêter son cœur.
L’éducation de Carrie a été si répressive que son moi n’a pas pu surmonter toutes ces frustrations et c’est son ça qui a pris le dessus. Elle devient donc une meurtrière en puissance. Sa soudaine puissance d’abord évoquée comme une humiliation (règles) face à ses amies qui se moquent d’elle se transforme en une puissance incroyable capable de tuer (télékinésie). Le personnage de Carrie montre qu’une même adolescente tout d’abord faible et humiliée peut se transformer sous la prise de drogue en une vengeresse.
Arnie, comme Carrie, est un adolescent frustré et qui est rempli d’acné. Comme Carrie, il est le souffre-douleur de ses camarades jusqu’au jour où il s’offre une voiture qu’il va prénommer Christine, une Plymouth Fury modèle 1958, rouge et blanche. Christine devient la personnification d’Arnie, il s’investit et aime sa voiture comme on aime une femme. Christine prend toutes les caractéristiques d’un humain. La personnalité d’Arnie évolue. Avant de posséder Christine, Arnie s’inquiétait des autres. A partir du moment où il fait l’acquisition de Christine, il devient beaucoup plus distant mais plus sûr de lui. L’exemple le plus frappant, c’est lorsque Arnie se trouve avec sa petite amie dans la voiture et que la jeune fille s’étouffe sans raison apparente ; Arnie ne réagit absolument pas pour la sauver. Arnie est possédé par Christine. Il se transforme comme Carrie, une fois avec Christine. Le bolide lui donne l’idée de beauté et de puissance, symboles de la voiture.
C’est bien connu, la voiture est le symbole phallique par excellence et montre un désir de puissance et de mort qui est bien entendu lié à la sexualité. Comme avec Carrie, la personnalité de l’adolescent qu’est Arnie est trop faible pour pouvoir lui-même faire face à toutes ses frustrations. C’est donc son ça qui va s’exprimer, mais contrairement à Carrie, ce n’est pas lui qui va agir directement : il est le possesseur de la voiture et les pulsions d’Arnie se dédoublent en Christine.
Stephen King a créé des personnages lésés qui vont incarner leur frustrations avec des pouvoirs divers qu’ils vont se découvrir et découvrir. Cet archétype de personnage vient des drogues ingérées durant toute cette période.
Si la drogue n’est pas explicitement citée elle existe symboliquement par le lien du personnage avec son pouvoir et de l’usage qu’il en fait.
Les personnages du clown et d’Annie Wilkes symbolisent à eux deux l’incarnation du mal et de la folie humaine. Deux incarnations dans toute sa splendeur du ça, qui n’est plus maîtrisé par les personnages diaboliques de Stephen King. Cela nous terrifie. Mais on adore ça et on en redemande…