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Frère d’âme ou La guerre de 1914 vu par un tirailleur sénégalais

Frère d’âme traite de l’enrôlement des tirailleurs sénégalais dans la guerre de 1914. Frère d’âme : un travail d’écriture inspiré par cette Première Guerre Mondiale, traitant de la sauvagerie et de l’humanité des hommes, vus par le prisme d’un tirailleur africain. Un roman bien écrit mais…

Frère d’âme évoque le rôle des tirailleurs sénégalais pendant la Grande Guerre, histoire encore assez méconnue : des milliers d’Africains ont quitté leur terre pour porter fièrement le drapeau français. Beaucoup ne savaient même pas parler le français, comme Alfa. Les deux tirailleurs sénégalais, personnages du roman, sont volontaires, comme l’ont été Apollinaire et Cendrars, des engagés volontaires aussi étrangers. L’auteur s’est inspiré pour écrire ce roman de lettres de poilus et d’une langue de l’ouest de l’Afrique, le wolof, parlée par les personnages principaux. Cette langue donne un effet de répétition dans la structure du texte, et fait écho au strophe d’un chant. Ce procédé est plutôt intéressant mais malheureusement la réitération du nom du personnage à de multiples passages (« Moi, Alfa Ndiaye, dernier fils du dernier homme ») devient à la longue un peu pénible à lire.

Dans ce roman, l’horreur de la guerre est déplacée : alors qu’elle existe déjà bien avant que les deux tirailleurs n’arrivent en France, l’inhumanité et la bestialité de celles-ci seront incarnées par Alfa et ses mains coupées qu’il ramène au camp. Ici, le point de vue du narrateur, c’est celui d’Alfa qui symbolise la sauvagerie de la guerre. Ce point de vue est cynique et ironique, comme si l’horreur de la guerre avant qu’Alfa n’arrive en France combattre dans les tranchées n’existait pas. Mais l’Afrique incarne cette époque encore carte postale avec les images de la bestialité, du cannibalisme… N’oublions pas que nous sommes sous l’Empire colonial, et que le racisme existe. Or, la vraie force de ce roman se dégage dans le traitement d’Alfa montré sous deux faces miroirs : sa culpabilité face à son inaction pour achever son ami agonisant, comme il le lui demandait. Ce moment hantera Alfa à jamais; c’est pour venger son ami qu’il ira dans les tranchées pour tuer l’ennemi et ramener au camp une de leurs mains coupées. Le deuxième visage d’Alfa montre la bestialité de la guerre. Alfa est devenu la guerre avec toujours un reste d’humanité. Partir dans les tranchées et revenir avec les mains ennemies coupées est un acte d’abord considéré par le capitaine et les soldats, comme courageux. Cependant au bout de la quatrième puis de la septième mains, leur attitude se transforme à son égard. Alors qu’au début, Alfa est considéré comme courageux, il est alors perçu comme un dévoreur d’âmes. 

Aussi, dans Frère d’âme, David Diop compare les tranchées à une femme et donc évoque la sexualité, mais cette thématique est très vite évincée. Pourquoi ? Mystère. Par contre, dans La nuit des Flandres de Claude Simon sont entremêlées quatre guerres dont celle de 1914 et le roman ne cesse de tisser des liens entre la guerre, la femme et le temps. Ces enchevêtrements donnent une puissance à l’écriture inexistante dans Frère d’âme. Cette absence d’aboutissement dans l’écriture empêche une puissance complète d’écriture qui aurait pu se réaliser. Ce qui est bien dommage.

Dernière chose : Frère d’âme certes a reçu le Goncourt des lycéens 2018, mais ce roman a été écrit pendant le Centenaire de la Première Guerre Mondiale comme l’avait été aussi le fameux Goncourt Au-revoir à là-haut de Pierre Lemaître. Le roman de David Diop clôture ce centenaire. Alors le questionnement est de mise, Frère d’âme est-il bien roman soulignant le devoir de mémoire comme l’auteur le suggère ou bien est-ce que ce un roman écrit proposé pour un prix, sachant que sa thématique est celui des poilus de la Première Guerre Mondiale ?