L’Américain Peter Heller est un romancier de haut vol. Non seulement, il se montre régulièrement captivant, mais il s’avère un excellent raconteur d’histoire (story-teller comme disent les anglo-saxons). En plus, il se montre capable d’aborder avec maîtrise les sujets les plus divers, tout en nous faisant profiter de détails marquants, comme certains paysages, grâce à un style remarquable.
Ici, nous avons droit à un roman en forme d’enquête. Une jeune femme nommée Gabriela vient voir Céline pour lui parler de sa vie où elle a malheureusement perdu sa mère puis son père, alors qu’elle-même est maman d’un petit garçon de huit ans. Sa mère, Amana, était une indienne d’origine, venue d’Amérique du sud. Une femme à la beauté fascinante, mais d’un caractère réservé, presque timide. Gabriela en garde quelques photos qui appuient son propos : Amana était du genre apparition marquante. Les photos sont évidemment du père de la jeune fille, Paul Lamont, photographe freelance parcourant le monde à la recherche de sites sortant de l’ordinaire et de rencontres inattendues. Bref, il était tombé amoureux fou de cette femme aux yeux d’un vert comme l’eau d’un lac, cette femme à la sagesse extraordinaire qu’il admirait comme une déesse. Et cette femme lui avait donné une enfant qu’il adorait d’autant plus qu’elle était l’image de sa mère en modèle réduit. Autant dire que le père était lui aussi particulièrement séduisant, d’un charisme qui ne laissait pas les femmes insensibles. Bref, cette famille heureuse profitait de la vie. Lors d’un moment de détente sur une plage, le drame se présenta sous la forme d’une série de vagues traitresses qui les emportèrent en un instant. Le père réussit à sauver sa fille mais pas la mère. Bien entendu, il en resta inconsolable, au point de négliger sa fille qui était pourtant ce qu’il lui restait de plus cher. Mais elle lui rappelait tellement la mère et il se sentait tellement seul. Il se soûlait au point de parfois oublier de récupérer sa fille à l’école en fin de journée. Il devint donc une proie facile pour une croqueuse d’hommes rencontrées dans un bar. Il l’épousa, ce qui n’arrangea pas les affaires de ce qui lui restait de famille. Il continuait cependant, à l’occasion, d’exercer son métier et d’aller à droite à gauche. C’est ainsi qu’un beau jour, il disparut dans un coin paumé à la limite du parc de Yellow Stone. D’après les témoins, il aurait été victime d’un gros ours qui trainait dans le coin depuis un moment. Il avait justement rendez-vous le lendemain matin avec quelques hommes pour organiser une expédition dans le but de photographier cet ours. Le seul souci, c’est qu’il ne restait rien de tangible pour certifier sa mort. Heureusement, les personnes recevant Gabriela accourue sur place, décidèrent qu’il serait cruel de laisser cette jeune fille sans ressources et ils signèrent l’acte de décès qui lui permit d’hériter. Mais évidemment l’histoire ne s’arrête pas là, car si Gabriela vient voir Céline, c’est parce qu’il lui reste un doute sur les circonstances de la disparition de son père. Céline a fréquenté la même Université que Gabriela, c’est ainsi que la jeune fille est tombée sur un article évoquant son activité de détective. Elle demande donc à Céline de faire la lumière sur cette histoire vieille d’une vingtaine d’années.
L’enquête
Autant dire que cette partie n’occupe qu’une part relativement faible des plus de 400 pages du roman. Le titre le sous-entend (titre original Celine donc sans l’accent), et le roman est bien plus un portrait de Céline Watkins que celui d’une enquête qui apporte néanmoins de belles péripéties et d’étonnantes révélations. Le premier constat, c’est que ce roman est dédié à Caroline Watkins Heller, présentée comme Artiste, Guerrière Spirituelle, Détective Privée, qui n’est autre que la mère de l’auteur. On imagine sans peine que Peter Heller fait ici un portrait arrangé en forme d’hommage à sa mère, la mettant en scène dans une histoire dont lui seul sait ce qu’elle doit à la réalité. On imagine très bien également que Peter Heller a entendu tout un tas d’histoires de la bouche de sa mère, ce qui explique qu’il n’ait pas besoin de se torturer la cervelle pour trouver des sujets intéressants à coucher sur le papier. Sans compter toutes les intrigues secondaires qui nourrissent ce roman. Le roman est donc également une enquête sur le personnage de Céline, celle-ci étant une femme proche de la retraite, mais dont la vie s’avère d’une grande richesse. De plus, elle est dotée d’un fort caractère et elle est mariée à un homme avec qui elle forme un couple qui ne passe pas inaperçu. Peter Heller a donc de nombreux ingrédients pour élaborer un roman qui surprend par sa richesse thématique, ses péripéties qui viennent aussi bien de l’enquête que mènent Céline et son mari que de leur vie de famille et des intrigues secondaires qui s’avèrent elles-aussi passionnantes. Les passions de Céline sont nombreuses et sa façon de mener l’enquête assez savoureuse. Enfin, il y a le style de Peter Heller qui fait merveille, avec sa façon de surprendre régulièrement et ses descriptions qui nous mettent vraiment dans l’ambiance et donnent envie de faire du tourisme dans la région où il envoie ses enquêteurs.
Céline, Peter Heller
Actes sud : Paru le 6 février 2019 (France)