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« Zombies : des visages, des figures… » : la politique derrière l’horreur

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Spécialiste du cinéma fantastique, Erwan Bargain porte son regard sur l’arrière-fond social et politique des films de zombies.

Pour beaucoup, cela ne fait pas un pli. Le zombie est un mort-vivant déambulant péniblement à la recherche de chair fraîche. Dépossédé de tout intellect, mû par un appétit insatiable, volontiers grégaire, il sillonne les villes en grognant et dévastant tout sur son passage. Cette image, on la doit notamment à George A. Romero, qui a démocratisé l’incarnation actuelle des zombies dans son premier long métrage, La Nuit des morts-vivants. Il s’agit pourtant d’une vision réductrice, qui fait fi des critiques sous-jacentes, politiques ou sociétales, accompagnant souvent ces films. Erwan Bargain entend précisément interroger cette dimension réflexive en passant en revue des dizaines de longs métrages.

Sans surprise, son analyse débute par le maître du genre, George A. Romero. Si les zombies constituent un héritage commun du patrimoine antillais, haïtien ou africain (l’auteur le rappelle brièvement), le cinéaste américain en a codifié le versant cinématographique avec une économie de moyens qui n’a eu d’égale que son ingéniosité. Mais quel sous-propos caractérise l’œuvre de Romero ? Sur La Nuit des morts-vivants, Erwan Bargain indique que la chose suivante : « Guerre du Viêt Nam, marche pour les droits civiques, Guerre froide, émancipation de la jeunesse, libération des mœurs… Le pays vit des heures tumultueuses et semble être à un carrefour de son histoire. Et Night of the Living Dead aborde à sa façon les réflexions et questionnements nés de cette époque. » Zombie se signale pour sa critique du consumérisme. « Les cadavres qui — quand ils étaient vivants — venaient jadis gonfler les files d’attentes aux caisses, errent par réflexe et par habitude dans le centre commercial. La société de consommation enferme les citoyens dans un bonheur illusoire qui, non seulement les déconnecte de la réalité mais surtout, favorise l’émergence d’un individualisme forcené. »

Le reste de la filmographie de George A. Romero est à l’avenant. Il s’agit de radiographier les inégalités sociales dans Land of the Dead, d’interroger le flux continu d’images et d’informations dans Diary of the Dead ou de reproduire le bipartisme américain, sous une forme renouvelée et radicale, dans Survival of the Dead. Mais le film de zombies et les réflexions qu’il supporte outrepassent le seul cas de Romero. L’histoire du cinéma regorge de films de morts-vivants aux doubles discours glaçants. Erwan Bargain prend ainsi à témoin des longs métrages aussi divers que Dead of the Night, Les Revenants, Shaun of the Dead, [Rec] ou Busanhaeng. À chaque fois, il cherche à en extraire la dimension sociale et politique.

Dans Dead of the Night, « à travers l’image du zombie, Clark met en scène la difficile (voire l’impossible) réinsertion des vétérans de guerre qui, à leur retour et à la suite des traumatismes subis, ne parviennent plus à retrouver leur place au sein de la société ». Les Revenants n’en est pas si éloigné, puisqu’il conte le retour douloureux des disparus parmi leurs proches, avec en filigrane une métaphore de la maladie, et notamment du SIDA. La « ZomRomCom » Shaun of the Dead présente des individus mous, sous le diktat d’un ronron lénifiant, aussi dévitalisés que les morts-vivants qui les assaillent. [Rec] révèle l’instantanéité de l’information et le pouvoir des images, investies par un effroi dont il est difficile de se détacher. « À l’ère de l’image et de la surmédiatisation, le tandem nous interroge ainsi sur le sens du réel et pointe du doigt les dérives de nos sociétés contemporaines où l’image télévisuelle ou celle diffusée sur le Web a plus de valeur que la réalité elle-même. » Busanhaeng, enfin, se nantit d’un propos plus intimiste, où la cellule familiale apparaît affectée et où la rédemption du père passe par le cataclysme zombiesque.

Qu’il s’agisse de maladies, d’insertion dans la société, de guerres inextricables, d’inégalités sociales, de considérations médiatiques ou climatiques, le film de zombies a toujours su exploiter la réalité sociale pour mieux asseoir ses « monstres ». Dans une démonstration solide et bien pourvue, Erwan Bargain raconte comment le fantastique et le politique se rencontrent insidieusement. Sa conclusion lui permet de le résumer simplement : « Incarnations de nos peurs ou révélateurs des maux de nos civilisations, les zombies ont depuis longtemps, dans le sillage des films de Romero, affirmé, à l’écran, leur dimension métaphorique, permettant ainsi à des cinéastes de dépeindre leur époque. »

Zombies : des visages, des figures…, Erwan Bargain
Ocrée, octobre 2020, 130 pages

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