Le roman de Valérie Perrin, Trois, est le récit d’une histoire d’amitié sur trente ans, racontée par un mystérieux narrateur qui de son aveu est lié au trio : « je m’appelle Virginie. Aujourd’hui, de Nina, Adrien et Etienne, seul Adrien me parle encore ». Son regard sur ces trois amis fait le lien entre passé et présent, avec les lots de drames qui ont eu raison d’une amitié adolescente pourtant solide. Après tout Nina le sait, elle a quelque part au monde deux amis qui auront toujours « une voiture neuve et le plein d’essence »… Trois est paru en avril 2021 et son succès a été immédiat.
“Trois silhouettes qui ne projettent qu’une ombre”
Tout commence par une rencontre à l’école primaire, des noms de famille aux ressemblances flagrantes et un hasard. Les trois se retrouvent dans la même classe, celle où tous rêvent de ne pas être car le prof est un genre de tyran. Nina, Adrien et Etienne marchent en ligne, toujours dans un ordre précis que l’autrice (à travers son narrateur) se plait à répéter. Cet ordre à son importance, il dit les liens qui les unissent, les rancœurs aussi qui bientôt se découvriront. Il y a, comme chez Maylis de Kerangal avec Corniche Kennedy, une écriture très précise et poétique de la jeunesse : celle des corps adolescents qui plongent dans l’eau (de la mer chez Kerangal) d’une piscine, l’été. C’est ainsi que se forgent les souvenirs, la solidité de l’amitié, le caractère inséparable de celle-ci. Quelle place dans la vie de Nina pour une histoire d’amour quand elle est entourée sans cesse d’Adrien et Etienne ? Quelle amitié entre Adrien et Etienne quand leur socle, Nina, disparaît ? Toutes ces questions trouvent des réponses partielles au fur et à mesure de l’éclatement du récit, les chapitres alternants entre présent et passé. Il y a des scènes fondatrices de l’amitié, d’autres créatrices de la scission. Des scènes qui prennent une importante différente en fonction du point de vue par lequel elles sont abordées, en fonction de ce que le lecteur comprend des enjeux aux différents stades du récit.
Trois est tout autant une histoire d’amitié que de violence : violence du monde, de certains moment de la vie, violence des amitiés trop intenses, violence aussi des rêves brisés. Il y a le rêve des trois de faire de la musique à Paris et il y a la réalité : des lettres ouvertes, une gifle, un vélo qui percute un camion, un mariage funeste… Et des identités contrariées. Chez Valérie Perrin, l’écriture est un puzzle, un souffle aussi. Elle ne lâche pas ses personnages, leurs actes, leurs consciences. Tous les choix ont des conséquences majeures, intenses, irréversibles, bref romanesques. Le récit est vaste, ample, construit avec brio, la progression est haletante pour le lecteur qui veut savoir comment se conclut l’action d’une époque quand il est replongé dans un autre moment de la vie des trois. L’écriture est précise, on est tout de suite transportés à La Comelle comme si nous y visions aussi, avions été des élèves, des camarades d’école des trois ou des collègues de Nina.
Trois raconte aussi des rencontres, des récits de vie, de ceux qui ont croisé, ou croisent la vie des trois. Il y a alors ces animaux transis dans un refuge, un chaton noir qu’on adopte pour trouver un nouveau compagnon, une nouvelle amitié aussi. C’est un grand roman, un récit de corps, de cœurs, de regards qui se croisent et s’éloignent. La toute dernière phrase/scène de Trois nous déchire le cœur et résume à elle seule la force et l’ampleur de ce roman passionnant aux magnifiques personnages. Elle est presque brutale tant on peine ensuite à faire le deuil de Nina, Adrien et Etienne à jamais figés dans ces pages qui les ont tant fait vivre et grandir.
Trois, Valérie Perrin
Albin Michel, avril 2021, 672 Pages