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« The Big Goodbye » : quand Sam Wasson raconte Chinatown

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Si Chinatown figure sans conteste parmi les longs métrages les plus importants des années 1970, personne n’avait jamais entrepris le travail de déconstruction proposé dans The Big Goodbye par le romancier et journaliste Sam Wasson. Publié par Carlotta, ce document repose sur une enquête au long cours, articulée autour de quatre personnalités remarquables – le réalisateur Roman Polanski, le producteur Robert Evans, le comédien Jack Nicholson et le scénariste Robert Towne. La genèse du film y est tracée, de même que les relations entre ses nombreuses parties prenantes ou la manière dont chacune d’entre elles a pu altérer une vision en régénération perpétuelle.

La conception et la sortie de Chinatown interviennent à un moment charnière. C’est en effet le premier film que Roman Polanski tourne à Los Angeles depuis l’assassinat de son épouse Sharon Tate par la « famille Manson ». Il s’agit aussi d’un film noir solidement ancré dans le Nouvel Hollywood, qui a vu des œuvres telles que Bonnie & Clyde ou Easy Rider révolutionner les représentations cinématographiques. Cette liberté recouvrée, et en certains points inédite, se heurte toutefois à des conservatismes surannés. Sam Wasson rappelle ainsi dans son ouvrage que la Columbia, par l’intermédiaire de son patron David Begelman, voyait d’un œil circonspect la vulgarité de La Dernière Corvée (Hal Ashby). C’est dans ce contexte que Chinatown voit le jour. La réalisation d’un polar pessimiste, plus généreux en perdition qu’en figures virginales, place l’entreprise à l’avant-garde hollywoodienne. L’une des dimensions les plus passionnantes de The Big Goodbye tient précisément à ces faits : en évoquant la genèse de Chinatown, son auteur radiographie le Hollywood des années 1970 dans toutes ses ambivalences.

The Big Goodbye est une affaire d’hommes. Le script doctor Robert Towne quitte les coulisses pour écrire ce qui deviendra son chef-d’œuvre – il aurait d’ailleurs aimé diriger lui-même Chinatown. Il voit toutefois Roman Polanski dénaturer son travail, notamment par ses propositions sur les décors et l’éclairage. Après Le Parrain ou Rosemary’s Baby, Robert Evans, le jeune producteur des studios Paramount Pictures, porte un nouveau film emblématique à son crédit. Jack Nicholson, incarnation physique du long métrage, aplanit les aspérités entre les différentes parties prenantes. Sam Wasson caractérise avec soin chacun des protagonistes. Faisant valoir un sens peu commun de la narration et du détail, il révèle en quoi Chinatown est le résultat d’idées radicales en heurts permanents, un assemblage unique, et inespéré, de sensibilités et de visions artistiques. The Big Goodbye s’épanche notamment beaucoup sur les rapports de force Robert Towne/Roman Polanski : Sam Wasson semble épouser la cause du réalisateur franco-polonais, lequel, soutenu par Robert Evans, mit à mal la version romantique, moins sombre, de son scénariste. Il s’agit là de l’un des tenants de l’ouvrage : Polanski a jeté des ombres épaisses et imperméables sur le script de Towne, qu’il a amplement remanié – au grand désarroi de ce dernier.

À l’aide d’archives, d’articles de presse ou d’entretiens de première main (Roman Polanski, Robert Evans, Julie Payne…), Sam Wasson raconte la genèse de Chinatown, ses anecdotes de production, mais aussi la stature et le passif de ses principaux façonniers. Le lecteur tourne autour du film comme le papillon autour de son lampadaire. L’excellent Jerry Goldsmith est appelé à la rescousse et compose en urgence, en deux jours, dans le studio d’enregistrement M de la Paramount, la musique du film. Robert Evans s’éprend des méthodes de Roman Polanski. « Cette minutie-là, ce soin patient accordé aux initiatives créatives et aux expérimentations, c’était ce qu’il souhaitait pour Chinatown et pour tous les films à venir de Robert Evans Production. » Dans un autre registre, ce sont les crises hémorroïdaires ou les maux de dos, les bijoux en location, les histoires de drogue, les tempéraments conflictuels, les événements de tournage et bien d’autres éléments, directs ou connexes, qui viennent irriguer un récit passionnant, conté avec autant de style que de précision.

The Big Goodbye, Sam Wasson
Carlotta, juin 2021, 350 pages

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