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Sport et sexualités au cœur de deux atlas aux éditions Autrement

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le 19 octobre verra deux atlas paraître concomitamment aux éditions Autrement. Pendant que Lukas Aubin et Jean-Baptiste Guégan font du sport un enjeu économique et diplomatique, Nadine Cattan et Stéphane Leroy s’interrogent sur la vie amoureuse, le couple et les nouvelles pratiques sexuelles à l’ère de #MeToo.

Certains événements ont cette faculté rare de surligner ce qui apparaissait jusque-là en pointillé. L’organisation des Jeux olympiques à Pékin ou de la Coupe du monde de football au Qatar ont ainsi braqué les projecteurs sur le sort des Ouïghours ou des Tibétains en Chine et sur celui des travailleurs migrants à Doha. Une donnée essentielle, abondamment commentée dans l’Atlas géopolitique du sport, s’est également rappelée à notre bon souvenir : à l’instar du tableau des médailles des JO, les événements sportifs d’ampleur mondiale offrent à ceux qui les accueillent – ou à ceux qui s’y distinguent – une formidable vitrine, propre à renforcer leur soft power. Ce n’est ainsi pas un hasard si Benito Mussolini voyait les joueurs de football comme des soldats de la cause fasciste, ou si les nazis se sont échinés à mettre en scène la ferveur nationale au moment des Jeux de Berlin en 1936. Dans un autre registre, le mouvement #MeToo est revenu comme un boomerang au visage de ceux, nombreux, qui pensaient que la réification du corps des femmes ou les violences à leur encontre n’avaient pas ou peu de prise dans les espaces public, moral et judiciaire. On sait aujourd’hui ce qu’il est advenu de certaines personnalités déchues – Harvey Weinstein ou Jeffrey Epstein – et on réinterroge, avec une attention accentuée, les phénomènes de féminicides, de viols ou de violences.

On le sait, les atlas des éditions Autrement permettent de passer en revue une thématique et de la déconstruire en une trentaine de chapitres. Le travail de pédagogie entrepris par les auteurs caractérise souvent ces publications qui, à défaut d’épuiser leurs sujets, parviennent très habilement à les contextualiser et à en faire jaillir les principaux enjeux. Les deux ouvrages qui nous intéressent ne dérogent aucunement à la règle. Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS, et Jean-Baptiste Guégan, consultant spécialiste des questions sportives, illustrent à merveille la devise de George Orwell selon laquelle le sport n’est autre qu’une guerre sans balles. Qu’il s’agisse d’investir le terrain géopolitique à une époque lointaine où Romains, Siciliens, Syriens ou Égyptiens se disputaient les Jeux d’Olympie ou de se pencher sur les groupes transnationaux modernes tels que le City Football Group ou la galaxie Red Bull, le sport a toujours été employé à des fins d’image et de puissance. La prouesse architecturale que constituait (déjà) le Colisée de Rome au Ier siècle après J.-C. (capable d’accueillir jusqu’à 50 000 spectateurs) trouve un écho contemporain et décentré dans les tentatives de récupération des valeurs du sport d’une marque de boisson énergisante usant et abusant de l’inbound marketing. De leur côté, Nadine Cattan et Stéphane Leroy posent un regard actualisé sur le mariage, la polygamie, la sexualité, la prostitution, la contraception ou l’avortement. Ils dépeignent un monde divisé, où religions, cultures et traditions marquent de leur empreinte les pratiques amoureuses et sexuelles. Il ne faut pas forcément aller loin pour s’en rendre compte. Même dans les pays occidentalisés où la polygamie a mauvaise presse, voire est prohibée, les mormons de l’Idaho, du Wyoming ou de l’Utah continuent de s’y adonner en nombre. Et les disparités régionales touchent à d’autres problématiques, dans d’autres pays. Saviez-vous par exemple que l’on rapporte en moyenne 6,1 faits de violence conjugale pour 10 000 femmes dans la Creuse, contre 50,1 en Seine-Saint-Denis ? Ou que le mariage, en chute partout en Europe, croît pourtant dans le bastion catholique que demeure l’Irlande ?

Les chiffres permettant d’objectiver certaines situations, les deux ouvrages en fourmillent. On apprend ainsi que les revenus de diffusion des Jeux olympiques n’ont cessé de croître, passant de 287 millions de dollars en 1984 à 1332 millions en 2000, puis 2868 en 2016. L’évolution des droits télévisés dans les grands championnats de football suit la même logique exponentielle, à l’exception de l’Italie au cours des dix dernières années. Et si on détache le sport de ses assises politiques ou économiques pour ne s’intéresser qu’à l’essence, c’est-à-dire l’effort, on pourra se référer aux données suivantes : la Suède et la Finlande figurent parmi les pays où sa pratique est la plus répandue dans l’Union européenne, tandis que la Bulgarie (22 %), l’Italie (40 %) ou le Portugal (36 %) apparaissent plutôt en queue de peloton. Revenons à l’Atlas mondial des sexualités. Dans certains pays africains, plus de 30 % des femmes sont mariées avant leurs 18 ans, un phénomène surtout visible en milieu rural, où les chiffres peuvent monter à plus de 65 % (notamment en Afrique de l’Ouest). Des études internationales ont par ailleurs démontré que 10 à 30 % des femmes dans 35 pays étaient victimes de violences sexuelles de la part de leur conjoint ou de leur ex-conjoint et que 10 à 27 % des femmes dans le monde faisaient état d’abus sexuels subis pendant l’enfance ou l’âge adulte. En France, presque 40 % des femmes de 18 à 69 ans sont sexuellement inactives, contre 28 % en Espagne et 46 % au Royaume-Uni. Et seuls 31 % des gens se disent très satisfaits de leur vie sexuelle.

Des grandes institutions sportives internationales cherchant à dépolitiser le sport aux équipes « nationales » des pays fantômes en passant par la valorisation de la virginité ou l’industrie pornographique et ses porosités avec la prostitution, ces deux atlas, pourtant si différents sur le fond, se rejoignent sur la forme pour évoquer leur sujet dans toute sa pluralité. Au bout de ces deux lectures, un sentiment se fait jour : et si la culture était pour l’un ce que l’économie et le soft power sont pour l’autre ? Car force est de constater, bien qu’il faille y apporter des nuances, que les prescriptions sexuelles reposent sur les croyances et coutumes au même titre que le développement du sport répond, souvent, à des motivations marchandes et géopolitiques. Ainsi, la radicalisation des positions sur l’avortement aux États-Unis ou la polygamie répondent à des grilles de lecture géosocioculturelle au même titre que les attitudes virilistes de Vladimir Poutine ou l’internationalisation de la F1 s’expliquent par des considérations d’ordre diplomatique.

Atlas géopolitique du sport, Lukas Aubin et Jean-Baptiste Guégan
Autrement, octobre 2022, 96 pages

Atlas mondial des sexualités, Nadine Cattan et Stéphane Leroy
Autrement, octobre 2022, 96 pages

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