Directeur de recherche émérite au CNRS, Michel Magny publie Retour aux communs aux éditions Le Pommier. Il y remonte aux origines des sociétés humaines et explique de quelle façon ces dernières se sont constituées et ont altéré le monde dans lequel elles se sont implantées.
Retour aux communs a quelque chose de vertigineux. Avec érudition, Michel Magny y retrace l’évolution humaine, la formation des sociétés et leurs répercussions sur les écosystèmes. Son format relativement modeste (250 pages) est trompeur en ce sens qu’il ne dit rien de l’acuité du regard de l’auteur. Car ce petit essai a tout d’un indispensable : riche et édifiant quant à nos ancêtres, il poursuit ses honorables ambitions didactiques en se penchant sur l’anthropocène et les deux « communs » qu’il érige en fondamentaux : l’écologique et le social.
Dans un premier temps, Michel Magny synthétise en clerc l’évolution darwinienne. « Notre mobilité s’enracine d’abord dans l’autonomie des premiers Eucaryotes avec leurs cils et leurs flagelles, puis dans les nageoires des poissons du Silurien, et dans les pattes des Tétrapodes du Dévonien. La remarquable symétrie retracée par Leonard de Vinci dans L’Homme de Vitruve est celle esquissée par les premiers bilatériens de l’Édiacarien il y a plus de 500 millions d’années. La similitude de la teneur en sel de notre sang et de l’eau de mer nous renvoie à nos ancêtres aquatiques et à la première niche écologique qui a hébergé la vie avant sa sortie des eaux marines. En définitive, chaque organe, chaque partie de notre corps, chaque fonction de notre organisme est un héritage légué par un ancêtre plus ou moins lointain à de multiples descendants. » Il poursuit sa démonstration en mettant en corrélation l’évolution de la taille de nos cerveaux et la bipédie, le langage, ainsi que la vie en société.
Les réflexions écologiques nourrissent abondamment Retour aux communs. Michel Magny évoque l’érosion de la biodiversité, l’acidification des océans, les aérosols, la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore ou encore la pollution d’origine chimique. Au cours d’un argumentaire étayé, il s’appuie sur les rapports Brundtland, Meadows mais surtout Steffen et Rockström. Ces deux derniers scientifiques ont proposé en 2009 une vaste étude sur les limites planétaires, ces seuils au-delà desquels l’humanité se mettrait elle-même, ainsi que son habitat, en danger. Très pédagogue, Michel Magny énonce les neufs paramètres naturels retenus dans le rapport et explique l’urgence de revoir nos modèles pour ne pas aboutir à une situation irrémédiable.
L’anthropocène, qui « désigne le fait que les humains apparaissent désormais comme une véritable force géologique, plus puissante que nombre de facteurs ou processus naturels », réside dans une dynamique multifactorielle. Le stockage des biens, le double tournant de 1776 – l’indépendance des États-Unis et la parution de La Richesses des Nations d’Adam Smith –, les révolutions industrielles, l’émergence à partir des années 1980 du néolibéralisme économique, l’urbanisation du monde ont tous contribué, parmi bien d’autres facteurs, à déstabiliser durablement nos écosystèmes. Après ses considérations historico-biologiques, Michel Magny dérive ainsi vers l’économie, la sociologie et l’écologie, dressant un large panorama de l’activité humaine et de ses conséquences environnementales.
À ses yeux, le développement et le maintien de la communauté des vivants sur la planète implique une « révolution copernicienne » : « Prenant le contre-pied de l’idéologie néolibérale, elle s’articule autour d’un projet borné par les limites de notre planète et ayant pour boussole la double préoccupation de maintenir la durabilité des deux communs hors desquels nous perdons à la fois notre essence et notre existence, c’est-à-dire la société qui nous fait humains et la communauté biotique qui nous fait vivants. » Pour en démontrer l’urgence, Michel Magny passe par Darwin, Elinor Ostrom, Hannah Arendt, Jean-Jacques Rousseau et toute une panoplie de scientifiques qu’il serait vain d’énumérer ici. Documenté, impeccablement mis en perspective, Retour aux communs est une somme indispensable mais empreinte d’un souci d’accessibilité, donnant la pleine mesure des grands enjeux écologiques et sociaux de demain en sondant ce qui a présidé, hier, à leur formation.
Retour aux communs, Michel Magny
Le Pommier, mars 2022, 250 pages