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« Montgomery Clift, l’enfer du décor » : comment le comédien reflétait l’homme

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avec Montgomery Clift, l’enfer du décor, publié aux éditions LettMotif en version brochée, Sébastien Monod se penche sur l’un des acteurs majeurs de son temps, dont le parcours personnel, accidenté, a trouvé de nombreuses résonances dans une filmographie riche et sélective.

La persona de Montgomery Clift est double : s’il peut se poser en incarnation du mythe américain, il reste également, de manière paradoxale, son contre-exemple. Car si le comédien pouvait se prévaloir d’un charisme débordant, d’un talent indubitable, d’une beauté presque mystique et d’une gloire instantanée, il se caractérisait aussi par sa relative solitude, ses problèmes de santé (dysenterie), son alcoolisme, une douloureuse mise au ban familiale et une quête identitaire et sexuelle largement débattue depuis. Clift était un homme torturé, en décalage avec le monde qui l’entourait, un individu vulnérable, souvent en doute, pris dans les feux de la rampe, jusqu’à l’épuisement.

Né d’un père absent et d’une mère très exigeante, le jeune Montgomery suit une éducation pour le moins atypique. Sébastien Monod rappelle pêle-mêle sa scolarité à domicile, ses voyages initiatiques en Europe, mais aussi les objectifs élevés fixés par une figure maternelle dominante. Touche-à-tout, autodidacte, le futur comédien est vite attiré par les arts, et notamment ceux de la scène. À 14 ans, il fait ses débuts à Broadway dans la pièce Fly Away Home. Il ne tarde pas à enchaîner les rôles et à s’attirer les bonnes grâces de la critique, lucide quant à ses aptitudes scéniques.

Au cinéma, c’est Howard Hawks, dans Red River, qui lui met le pied à l’étrier. Montgomery Clift tourne ensuite avec Alfred Zinnemann, William Wyler, Alfred Hitchcock, Elia Kazan ou encore John Huston. Très vite, il porte une grande attention à l’écriture de ses rôles, retouche les scénarios et rencontre divers problèmes causés par la présence un peu trop visible de sa conseillère personnelle Mira Rostova. Le comédien, qui a partie liée avec l’Actors Studio et la Méthode de Lee Strasberg, choisit des rôles qui lui ressemblent, dans lesquels il peut fondre des parties de lui-même. Peu après ses débuts à Hollywood, la Paramount lui offre un contrat très favorable, avec des latitudes décisionnelles inespérées. Quelque chose est en marche, à n’en pas douter.

Un ouvrage multidimensionnel

Sortant du cadre conventionnel de la biographie, Sébastien Monod opère des va-et-vient systématiques entre la vie privée de Montgomery Clift et sa carrière cinématographique. S’il ne manque pas de narrer les étapes itinérantes d’une ascension fulgurante – il sera presque immédiatement considéré comme une grande star en devenir –, il analyse aussi la complexité de ses rôles, la manière dont il s’en empare et tout ce qui peut entourer sa personne (les ruptures familiales, l’homosexualité cachée, la dépendance à l’alcool, l’amitié fusionnelle avec Elizabeth Taylor, etc.) et son image (les photographies « commandées », le statut de sex-symbol, les rumeurs, etc.).

Certains des événements les plus marquants de sa filmographie se voient abondamment commentés : l’interprétation du père Logan dans La Loi du silence et la notion très hitchcockienne de culpabilité, manifeste et sous-jacente ; les ambiguïtés sexuelles du bien nommé Tant qu’il y aura des hommes, tellement raccord avec les orientations personnelles de Clift ; les nombreuses et plurielles métaphores fléchées de Soudain l’été dernier ; le rôle qui sera peut-être celui de la postérité avec Les Désaxés, qui regroupe deux acteurs tout en fêlures, Monroe et Clift, dans un film qui tend à mettre leur propre vie en perspective. En ligne de mire : toujours ces itérations dans lesquelles Sébastien Monod porte la plume, sans jamais oublier de verbaliser la sensibilité, l’exigence et les subtilités de Montgomery Clift.

Très documenté, passionnant de bout en bout, Montgomery Clift, l’enfer du décor se conclut avec les rendez-vous manqués du comédien, que l’on aurait pu retrouver dans des films tels que La Corde, Sur les quais ou Boulevard du crépuscule, avec une panoplie de propos rapportés, lui appartenant ou le concernant, mais aussi avec son héritage culturel, transmédiatique, allant de la bande dessinée (Fred Guardineer) à la musique (R.E.M. ou The Clash) en passant par le cinéma ou le théâtre (les exemples sont bien entendu légion).

Montgomery Clift, l’enfer du décor, Sébastien Monod
LettMotif, juin 2023, 400 pages (version brochée)

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