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« Même les extincteurs rêvent de gloire » : divine comédie humaine

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Appelez-le au choix Arthur Zingaro ou Ludovic Lavaissière. L’auteur français se livre sans pudeur dans une autofiction désenchantée parue aux éditions Horsain. Au programme : vie de famille, désillusions littéraires et tréfonds de l’être.

C’est l’histoire d’un écrivain désargenté prisonnier d’un appartement exigu. Un plumitif allergique aux commentaires désobligeants, mais incapable d’accepter un compliment sincère. Quelqu’un qui aimerait vouer sa vie à l’écriture tout en ayant l’impression de jouer les imposteurs dès lors qu’on le présente pudiquement comme un auteur. Même les extincteurs rêvent de gloire est une autofiction désabusée, fusante et imagée. Arthur Zingaro y dévoile un peu de sa vie, beaucoup de lui-même, en flirtant avec l’autodérision et le portrait en actes. Ses figures tutélaires sont John Fante, Raymond Carver ou Charles Bukowski, mais on a parfois l’étrange sentiment de voir Tony Soprano, face pathétique, qui s’inviterait dans un film des frères Coen aussitôt réexaminé par Quentin Dupieux. Il y a la mise en abîme dans le cabinet du « Magicien », un psychologue qu’il verra à six reprises, pendant quinze minutes, et qui l’irritera plus qu’il ne l’aidera. Il y a surtout une mise à nu à triple fond : professionnelle, familiale, intérieure.

« J’ai grandi sans devenir adulte. » Si Arthur Zingaro raisonne de cette façon, c’est probablement parce que l’incertitude ne cesse de l’assaillir. Il le confesse lui-même dans les premières pages de son roman : il lui semble insurmontable de « vanter les mérites d’un bouquin alors que le doute [l]’écrase ». Cynique, il se perçoit comme un « chieur d’encre de seconde zone ». À sa décharge, on notera que la vie lui a adressé quelques pieds-de-nez. Ainsi, l’ancien conseiller en insertion passe désormais ses journées à se lamenter sur son sort de chômeur. « Vous guettez l’aube exsangue, bouffi d’insomnie et dévoré de culpabilité, vert de rage ou blême de peur. » Pourtant, il l’admet sans ambages, « quand [il] signe un contrat d’embauche, [il a] l’impression de [se] constituer prisonnier ». L’écriture est autant un besoin qu’un refuge. C’est l’ivresse sans la griserie. « Alors écrire me dépayse. Je m’offre des tranches d’exotisme, d’aventure et de liberté… Comme autant de bouffées d’oxygène au cœur d’un quotidien oppressant fait de bruit, de dèche, de psychiatrie de bazar et d’avenir incertain. »

Arthur Zingaro manie les formules fleuries et les sentences ordurières. À bien des égards, Même les extincteurs rêvent de gloire apparaît comme une énième pierre jetée dans le jardin bien ordonné de la société libérale moderne. Le centre commercial est peuplé de possédés croyant posséder et les achats compulsifs s’y confondent avec une seconde nature. Et puis, il faut optimiser. « Aujourd’hui, tout est chronométré. Tic-tac, tic-tac-tic. Et l’on a le devoir d’employer son temps à bon escient. On n’a plus le loisir de le perdre ou de vivre en marge du temps des autres. » Pis, les blessures intérieures se soignent au Xanax et aux antidépresseurs. Avec un peu de rhum ou de vodka pour faire passer tout ça. La télévision régurgite à longueur de journée des émissions-poubelles et des informations dispensables. Son pouvoir disciplinaire est constitué de négativité : il est commercial, abêtissant et couard. Dans la fonction publique, on a désormais besoin d’experts pour inscrire une gamine à la cantine. Ce n’est pas un hasard si notre auteur, mi-attachant mi-pathétique, fait des ponts entre Kafka et l’Administration. Pôle Emploi et ses tests saugrenus pourraient d’ailleurs revendiquer une place de choix dans la bibliographie teintée d’absurdité de l’auteur austro-hongrois.

Même les extincteurs rêvent de gloire est entrecoupé de poèmes, de caricatures hyperréalistes et d’extraits de la fiction en cours d’écriture de son antihéros. D’un bout à l’autre du roman, ce dernier s’amuse à exhumer des vocables peu usités, à se répandre en métaphores, voire en facéties – le GSM baptisé Miles Davis en référence à One Phone Call, par exemple. Mais ce n’est pas tout : il verbalise tout ce qui l’insupporte dans un monde qui lui semble rendu au dernier degré de l’absurdité. Des voisins trop bruyants, une ville de Salamandre peu attrayante, la vanité d’un emploi servant avant tout à dépenser le salaire qu’on en tire pour acquérir des choses inutiles, une vie familiale phagocytée par « La P’tite », dont les interventions incessantes sont sursignifiées par le recours aux majuscules, une secrétaire médicale tellement « Couteau-Suisse » qu’on l’imaginerait bien poser le carrelage du cabinet. Trop lucide et misanthrope pour sourire à la vie, le personnage d’Arthur Zingaro, ersatz de sa propre personne, finit par somatiser son mal-être… par des troubles de la déglutition. Qu’on se le dise, certaines personnes voient littéralement l’état du monde leur rester en travers de la gorge.

Même les extincteurs rêvent de gloire, Arthur Zingaro
Horsain, juin 2020, 272 pages

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