Parce que son ouvrage consacré aux pin-up durant le pré-code (1930-1934) nous a passionnés, Le Mag du Ciné a voulu aborder avec Mélanie Boissonneau plusieurs questions directement liées à son essai, mais aussi connexes, à l’instar du futur de la pin-up au cinéma…
Selon vous, quelles conditions doivent être réunies pour que la pin-up s’inscrive dans la longue marche du féminisme ?
Ce que je tente de démontrer dans cet ouvrage, c’est qu’être une pin-up consiste surtout à « jouer à être une pin-up ». La mise en scène de soi fait partie de ce qui constitue la pin-up. Alors qu’elle a longtemps été considérée comme une femme-objet, faire l’histoire de la pin-up permet de remonter à des racines que l’on peut considérer comme féministes, lorsque les actrices du XIXe ont commencé à utiliser la photographie pour promouvoir leurs spectacles, et contrôler leur image. Aujourd’hui, les artistes de la scène burlesque s’emparent des codes esthétiques de la pin-up pour proposer des spectacles et des représentations de femmes libres. Je pense par exemple à une artiste comme Dirty Martini, qui joue à la pin-up, avec un corps qui ne correspond pas aux normes de beauté des magazines, mais elle utilise l’imagerie des pin-up des années 50 dans des spectacles à la fois glamour et politiquement engagés. La pin-up est une possible représentation du féminin (qui n’est d’ailleurs par réservée aux femmes !), qui peut être féministe, dans la mesure où elle correspond à une réappropriation de son corps.
Dans votre ouvrage, vous évoquez la « valeur talismanique » des pin-up, mais aussi, de manière plus prosaïque, leur usage masturbatoire ou leur influence sur la perception des spectatrices. Ce faisant, comment expliquer la présence des pin-up au cinéma, mais aussi leur catégorisation en objet filmique à part entière ?
Je pourrais utiliser la célèbre citation attribuée à Truffaut : « Le cinéma c’est de l’art de faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Il y a toujours eu de jolies filles au cinéma. La pin-up a ceci de particulier qu’elle est avant tout une mascarade, une mise en scène de soi, au travers de codes esthétiques largement identifiables. Des poses, des tenues, des coiffures relient ainsi les pin-up entre elles. Il n’y a pas tant de différences entre une photo d’Adah Isaacs Menken au XIXème siècle et de Charlize Theron dans un pub pour du parfum aujourd’hui. Comme je le montre dans le livre, les pin-up, telles que je les conçois, ne sont pas seulement des femmes-objets (ou des hommes-objets), elles peuvent aussi être indispensables à l’histoire, et même impacter la narration et la mise en scène. Elles sont donc un véritable objet filmique, d’un point de vue esthétique et narratif. Lorsque Laura Mulvey théorise le male gaze [le regard masculin, N.D.L.R.] en 1975, elle y voit une expression de l’oppression des femmes, objets du regard masculin. Je suis bien sûr d’accord avec cette théorie qui a encore aujourd’hui un impact très fort sur les théories féministes du cinéma. Mais on peut aussi souligner l’importance, en termes de mise en scène, de ce regard, et considérer que la pin-up impacte fortement la mise en scène, et en cela, n’est pas totalement un objet. Je pense par exemple à cette séquence de chant de Marylin Monroe dans La rivière sans retour. Pendant qu’elle chante « One Silver Dollar » sous une tente au milieu d’une foule de chercheurs d’or, la caméra de Preminger ne peut littéralement pas la lâcher des yeux, même pour aller chercher le personnage de Robert Mitchum. Ici, la pin-up fonctionne vraiment comme un aimant, et elle influe directement sur la mise en scène.
Parmi toutes les pin-up dont vous faites l’exégèse, laquelle a connu la mutation la plus douloureuse et régressive après le durcissement du code Hays en 1934 ?
Je pense d’abord au personnage de Jane Parker, la Jane des Tarzan de la MGM, qui est un personnage très libre, très indépendant pendant la période du pré-code (correspondant à Tarzan l’homme singe, et Tarzan et sa compagne), mais dès 1934, elle est littéralement remise sur les rails de la domesticité. Ses tenues sont beaucoup plus couvrantes, elle est de nouveau maquillée et coiffée selon les codes hollywoodiens de l’époque et, surtout, elle est complètement sous la coupe de Tarzan, confinée aux tâches ménagères et toujours dans l’attente de son héros de mari (elle habite une cabane dans les arbres tout équipée, à la façon des Pierrafeu). Elle passe d’un personnage de femme émancipée, qui éduque Tarzan et veut s’affranchir de son éducation bourgeoise occidentale, à celui d’une femme au foyer désespérée.
L’actrice Mae West a aussi été très marquée par le durcissement du code en 1934. D’ailleurs, elle retournera à la scène après quelques films tournés après 1934. Après une pause de 1943 à 1970, elle reviendra au cinéma pour deux films délirants et très débridés en 1970 et 1977, pile au moment des mouvements de libération sexuelle ! Après le durcissement du code, ses personnages n’ont plus qu’une subversion de façade, elle incarne toujours des artistes un peu coquines, fait bien quelques œillades incendiaires, mais finit par se marier, ou est sauvée par la foi… On est loin de la sulfureuse Tyra de I’m no angel, ou de Lady Lou dans le film éponyme de 1933, qui séduit le tout jeune Clark Gable, ou même de son rôle de femme chef d’entreprise au langage fleuri dans Night after night.
En évoquant Psychose, vous décrivez les cris de Marion (Janet Leigh) comme un instrument de terreur et d’angoisse. Vous abordez aussi la question des Final Girls et des Scream Queens. Qu’est-ce que le cinéma d’épouvante doit aux femmes, et vice versa ?
Le cinéma d’épouvante doit tout aux femmes. Elles sont « le son de l’horreur » depuis le cri de Fay Wray aux prises avec King Kong en 1933. Au départ victimes du monstre (tueur humain, animal, monstre de toutes sortes), les femmes se sont très rapidement rebellées, pour rendre les coups et tuer le monstre, voire devenir le monstre ! Un film français exprime très bien l’importance et l’ambiguïté des femmes dans le cinéma d’horreur, c’est À l’intérieur, de Julien Maury et Alexandre Bustillo, dans lequel une femme veut prendre le bébé d’une autre, in utero, et les rôles du monstre et de la victime ne cessent de circuler d’une femme à l’autre.
À vos yeux, quelles actrices personnifieraient aujourd’hui le mieux la pin-up hollywoodienne moderne ? Et pourquoi ?
Je travaille beaucoup sur les représentations audiovisuelles de super-héros et, aujourd’hui, la pin-up est masculine ! Thor, Arrow, ce sont eux qui jouent les pin-up dans les films, bien plus que les femmes. Aujourd’hui, les pin-up peuvent se permettre d’être moins formatées, d’avoir des tatouages, des corps un peu différents, surtout sur scène. Au cinéma, les normes sont toujours très rigides, mais j’aime beaucoup Eva Green par exemple, qui a un côté très classique et incarne des personnages très intenses, c’est une sorte de pin-up gothique (voir Penny Dreadful ou son travail avec Tim Burton). Eva Mendes a aussi un côté très pin-up, mais malheureusement elle ne tourne pas beaucoup. Ruby Rose, qui va incarner Batwoman (et pas Batgirl, c’est important !), est aussi une incarnation très moderne de la pin-up, qui joue avec les genres et les stéréotypes, tout en correspondant à une norme de beauté tout à fait classique à Hollywood. Elle est certes très tatouée, parfois androgyne, mais elle est aussi blanche, avec de grands yeux clairs et une bouche pulpeuse, comme la majorité de ses aînées.
Comment imaginez-vous la pin-up de 2050 ?
Une pin-up queer, affranchie des assignations de genre, qui jouerait avec les codes et les stéréotypes, ce que l’on voit déjà sur scène dans les spectacles de Drag Queer. En 2050, le cinéma sera peut-être prêt à accueillir des pin-up avec une robe fourreau à paillettes et une barbe ! Le mouvement a été amorcé avec le tapis rouge de l’acteur Billy Porter, vêtu pour l’occasion d’une robe smoking tout à fait glamour.