En 2019, Nora Sandor publiait chez Gallimard son premier roman. Licorne nous décrit les déboires de Maëla, 20 ans, aspirant à devenir influenceuse sur Instagram. Avec ce premier roman qui nous plonge dans un quotidien terne, Nora Sandor explore l’attraction que peuvent avoir les réseaux sociaux sur notre jeunesse, aspirant à devenir une licorne, comprenez une personne spéciale.
Licorne est un livre qui se lit très facilement. Le texte est agréable, les réflexions sont présentes, intéressantes et poussées. Peut-être même un peu trop pour la pensée de Maëla – à laquelle elles s’attachent presque constamment – qui apparaît, avouons-le, sinon comme une idiote, comme franchement immature. Et pourquoi pas, d’ailleurs ? Maëla n’a que 20 ans et aucune expérience de la vie.
Certes un peu en décalé avec le mental du personnage principal, ces réflexions ont le mérite d’être très bien tournées, donnant un résultat subtil. Rien de pire que la dénonciation gratuite, vue et revue, qui n’apporte rien. Ce n’est pas le cas ici, puisque Nora Sandor dénonce entre les lignes. Elle n’émet jamais le moindre jugement. C’est à son lecteur de s’attrister, se choquer, voire se moquer des péripéties de Maëla dans sa quête de devenir influenceuse. Et pour cause, il faut bien que quelqu’un prenne du recul, Maëla n’en faisant jamais preuve. Toute sa vie est en surface, les conséquences de ses actions ne sont jamais pensées, jusqu’à cette fin de roman aberrante. C’est une des qualités du livre : après un début un peu difficile, le lecteur dévore le texte, page après page, avide de savoir dans quelle nouvelle bêtise Maëla sautera à pieds joints, ébahie par les sirènes de la célébrité sur réseaux sociaux.
On apprécie également le parallèle qui est fait entre la manifestation contre les sélections pour l’entrée à l’université et le désintérêt total de Maëla pour ses études. La jeune femme n’étudie pas une fois, n’y prête pas le moindre intérêt, pourtant elle s’insurge contre la sélection. L’essentiel de son énergie et de sa maigre ambition est dédié à augmenter sa présence et sa communauté en ligne. Maëla n’est manifestement ni prête, ni sufisamment mature pour les études supérieures, faisant perdre à ses professeurs à la fois leur temps et leur vocation. Le monde réel apparaît aux yeux de Maëla ennuyeux et demandant trop de travail. Il ne fait pas le poids contre ce monde virtuel uniquement constitué de loisirs et de bons moments. Au point que tout ce qui ne vient pas des réseaux sociaux semble sans intérêt.
Dans son roman, sans morale ni jugement affirmé, Nora Sandor donne à voir l’envers du décor d’une génération qui se noie dans le virtuel. Plusieurs études ont démontré qu’Instagram était considéré comme le réseau social le plus déprimant. Comprenez, les utilisateurs se sentent déprimés suite à un passage sur l’application. Maëla est à la fois une Mme Bovary moderne, mais aussi l’archétype d’une génération actuelle perdue et déprimée car sa vie réelle n’a rien de comparable à l’idéal montré par les réseaux sociaux. Pas de voyage, pas de beauté, pas de richesse, pas de sorties… Même pas la possibilité de faire semblant (pas assez de moyens pour simuler).
Constamment dans le texte reviennent un désamour, un manque d’estime de soi et surtout l’expression « ce qu’il fallait qu’elle soit ». Au point de devenir la proie d’un influenceur qui a lui aussi perdu le contact avec la réalité humaine des individus. On lit dans la tête de Maëla la culpabilité de ne pas correspondre à un idéal, mais aussi plus tard le choc de découvrir que le bonheur et l’amour sur les réseaux sont factices. Et quand le succès finit par arriver, Maëla n’a pas conscience qu’il n’est que le fruit du hasard – ou de la chance. C’est parce que Mowgli a par hasard repartagé son bol de céréales qu’elle perce ce plafond de verre qu’est l’écran du téléphone sur les réseaux sociaux. Pourtant, Maëla s’imagine immédiatement qu’elle est spéciale, sans réaliser qu’elle n’a rien à proposer. Doit-elle être une influenceuse beauté ? Une influenceuse fitness ? Une blogueuse bretonne ? Maëla n’a rien à dire, rien à apporter, sinon son envie d’être spéciale – il faut pourtant qu’elle existe.
La licorne du titre, est bien sûr à prendre au second degré. Le roman nous parle pourtant beaucoup d’un animal, Baloo, l’ours domestique du rappeur Mowgli, adulé par Maëla. Sans comprendre une seule seconde qu’un ours des Carpates n’a rien à faire dans une voiture de sport, un maillot du PSG, ou un clip de rap, Maëla ressasse les apparitions de Baloo aux côtés de Mowgli. Le lecteur finira sans doute par trouver qu’il y a un peu trop de Mowgli et de Baloo dans le texte. On s’en écoeure bien, ça fonctionne. Au bout d’un moment on passe, on en a marre, on a compris. Contrairement à Maëla, le lecteur se moque de la description minutieuse des clips de Mowgli et de comment est habillé Baloo. Celle-ci ne réalise même pas qu’elle finit par préférer Baloo à Mowgli.
S’identifiant de plus en plus à l’ours, Maëla n’est pas consciente qu’elle rêve de liberté, d’un retour à la nature, à une vie plus instinctive et plus ancrée, notamment au moment présent. Pas plus, d’ailleurs, qu’elle ne réalise que Baloo est lui aussi prisonnier d’un personnage, celui de l’ours du rappeur Mowgli, baladé de bling en bling, au lieu d’arbre en arbre.
Licorne, Nora Sandor
Gallimard, mai 2019, 2016 pages