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« L’État hors-la-loi » : pouvoir et violence

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Avocat et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, Arié Alimi publie aux éditions La Découverte l’essai L’État hors-la-loi, dans lequel il problématise longuement la question des violences policières.

Ceux qui l’ignoraient encore en ont eu la démonstration à l’occasion des manifestations des Gilets jaunes : battre le pavé peut s’avérer dangereux, surtout quand le contexte social est tendu. Le journaliste David Dufresne n’a d’ailleurs cessé de porter la question des violences policières sur la place publique, dénonçant un usage illégitime et/ou disproportionné de la force, en ce y compris à l’encontre des journalistes. L’avocat Arié Alimi défend depuis vingt ans les victimes de ces faits. L’État hors-la-loi fait mention de certaines des affaires dont il a eu la charge, dont celles de Rémi Fraisse et de Cédric Chouviat.

Pour objectiver les « logiques des violences policières », il faut s’interroger sur le pouvoir, la puissance, la force, la légalité, la légitimité, l’autorité. Il faut radiographier l’équipement des agents, leur formation, les dispositifs légaux qui entourent leur action. Tous les faits justificatifs de la violence impliquent théoriquement que l’usage de la force, ou de l’arme, réponde à deux critères impératifs : la nécessité et la proportionnalité. Partant, Arié Alimi va déconstruire chacun de ces points pour démontrer comment et pourquoi les pratiques des forces de l’ordre ne se conforment souvent plus à ces considérations. Pourquoi, alors que le droit réserve le libre arbitre au policier chargé d’exécuter les ordres du commandement, les auteurs de violences policières sont-ils si souvent relaxés – si tant est qu’on parvienne à les poursuivre ?

Arié Alimi pointe du doigt les difficultés à documenter les violences policières (omerta, rétention de preuves, textes de lois trop vagues et soumis à interprétation, proximité entre police et justice…). Il décrit une forme de discrimination à l’égard des populations racisées et habitant les quartiers populaires. Le faciès, l’origine géographique ou sociale entraînent un traitement différencié de la part de la police. Pis, les quartiers pauvres et insalubres, où règne la stigmatisation sociale et raciale, constituent un terreau fertile pour un tissu économique alternatif. L’auteur explique que cela justifie, aux yeux du public, que des moyens policiers exceptionnels y soient déployés, ce qui agit comme un incubateur de la violence.

L’auteur évoque aussi un regard policier biaisé, résultant d’une construction sociale, façonnée par les politiques publiques et les discours politico-médiatiques en œuvre depuis des décennies. Un ennemi intérieur a parfois été désigné, sur la base de la figure de l’Arabe, de l’Algérien (les événements de 1961 sont rappelés), de l’immigré, du criminel de cité, et enfin de l’islamiste. Arié Alimi revient sur l’emploi d’armes militaires par les forces de l’ordre. Il poursuit sa réflexion en rappelant que même le champ lexical des interventions policières relève de la guerre. Il avance que la brutalisation du maintien de l’ordre est indexé au fait que les forces de l’ordre spécialisées ont été remplacées par des unités de police urbaine moins formées au maintien de l’ordre. Il note aussi une intrusion du discours et de l’idéologie de la lutte contre les émeutes, ainsi qu’une judiciarisation croissance du maintien de l’ordre, avec une collaboration accrue des procureurs et des préfets dans l’optique de procéder à des interpellations et au traitement judiciaire de manifestants.

Encagement, LBD, grenades, article L435-1 du Code de Sécurité intérieure, réaffirmation de la territorialité du pouvoir, lutte sous-jacente contre les mouvements sociaux, la réflexion de l’auteur autour de la violence policière s’inscrit dans une actualité sans cesse renouvelée. En ce sens, L’État hors-la-loi traduit et se nappe d’un sentiment d’urgence, d’une volonté de réconcilier les populations avec une autorité publique dont l’examen de conscience et de pratique semble non pas nécessaire mais impérieux.

L’État hors-la-loi, logiques des violences policières, Arié Alimi
La Découverte, septembre 2023, 232 pages

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