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Les égarés tentent de survivre dans la nature sauvage

Le jour de ses 18 ans, par une belle journée d’hiver, Wilfred (dit Wolf) Truly vient randonner dans un coin qu’il connaît bien. Négligence révélatrice, il oublie d’emporter son sac à dos. Son but : Angel’s Peak, à l’écart des endroits les plus fréquentés. Pour s’en approcher, il emprunte un téléphérique. Pendant l’impressionnant trajet, il remarque trois femmes qui vont bientôt faire partie de sa vie, ou plutôt de leur tentative commune de survie.

Plus tard, alors qu’il marche dans la forêt, Wolf retrouve ces femmes dans des circonstances inattendues. Plus ou moins égarées et quelque peu inquiètes, elles l’appellent. Le prenant pour un guide professionnel, elles finissent par le convaincre de les guider vers Secret Lake, le but de leur expédition, qu’il connaît. C’est seulement alors qu’il réalise qu’elles sont ensemble et de la même famille : Nola la grand-mère, Bridget la mère et Vonn la fille. L’imprévu surgit faisant paniquer Bridget. Dans sa course folle, elle entraîne les autres et les voilà perdus. Ensuite, avec l’obscurité naissante, ils sont surpris par un terrain sur lequel la glissade, inévitable, les fait aboutir sur une sorte de corniche en surplomb où un léger creux dans la falaise leur offre un maigre abri.

Pris au piège

De cet endroit où les randonneurs ont atterri, aucune voie naturelle ne se présente pour rejoindre les sentiers pratiqués (qui sont beaucoup trop loin pour espérer attirer l’attention). Ils vont devoir faire preuve d’intelligence, d’organisation et de ténacité pour espérer s’en sortir. Le vrai souci, c’est qu’aucun des quatre n’est équipé par rapport aux conditions qui se présentent. Dans leur glissade incontrôlée, ils ont perdu un sac à dos qui contenait des barres aux céréales et des bouteilles d’eau. Ils vont également souffrir du froid, car la température descend tellement pendant les nuits que la météo pourrait tourner à la neige. Détail pratique : Vonn marche en tongs.

Objectif survie

Dans un premier temps, le groupe se contente de s’organiser pour résister aux conditions difficiles, à plus de 2 000 mètres d’altitude. Les nombreux dialogues mettent à jour quelques tensions familiales, ainsi que petits et gros mensonges. Les caractères se révèlent. Rapidement, la survie devient le seul objectif. Alors, le groupe se soude et la solidarité apparaît là où on ne l’attendait pas vraiment. Enfin, le groupe ayant compris ne devoir compter sur aucune aide extérieure, le dépassement de soi devient la seule solution.

Inventaire des faiblesses

Le roman tient en haleine grâce à un détail qui fait son effet : dès le début on sait que le groupe ne s’en sortira pas dans sa totalité. Alors, on frémit à chaque mauvaise surprise qui se présente et on guette les faiblesses des uns et des autres, en se demandant ce qui se révélera fatal. Bien entendu, les raisons possibles sont multiples. L’âge pour Nola par exemple, les pieds de Vonn qui la font souffrir de plus en plus, les croyances un peu naïves de Bridget qui annonce des rêves prémonitoires sur lesquels sa fille Vonn ironise (soit disant, ils s’en sortiront). Un leitmotiv obsède Wolf – qui lui est victime d’hallucinations – ceux qui s’en sortent sont ceux qui y ont toujours cru. Et ceux-là sont de toute façon ceux qui résistent le mieux et le plus longtemps. Ce qui est en totale contradiction avec ses intentions initiales en venant randonner dans le coin.

Wolf et son vécu

Attardons-nous donc un peu sur Wolf, dont la condition de narrateur indique que lui s’en sortira. Avec un sens de la progression dramatique qui lui permet de soigner la psychologie de ses personnages, la canadienne Lori Lansens construit son roman comme une longue confession, par moments écrite comme une lettre que Wolf adresse à son fils. Un fils à qui il a décidé de dire enfin toute la vérité. Car on comprend que depuis de longues années, cette dramatique randonnée en montagne a représenté une sorte de sujet tabou entre eux, alors qu’il s’agit d’un moment crucial dans leurs existences. Pour Wolf, ces cinq jours ont été l’occasion de faire le point. L’aboutissement de son introspection nous est livré au fur et à mesure, comme des parenthèses dans le roman. Cela pourrait être une manière de nous inciter à avancer dans la lecture si seules les péripéties en pleine nature nous intéressaient. Mais tout ce que Wolf raconte se révèle de plus en plus bouleversant. Son histoire familiale mouvementée (avec notamment un déménagement improvisé du Michigan vers la Californie) le hante tout autant que son amitié marquante avec Byrd.

Marquant !

Les égarés est donc un haletant roman de survie qui peut se lire comme un thriller situé en pleine nature. Bien que décrite comme potentiellement dangereuse et hostile, celle-ci présente la réalité du monde à laquelle tout un chacun doit s’adapter. Ainsi, le groupe doit s’organiser et improviser avec intelligence ou instinct. Le temps qui passe les affaiblit et les démoralise. Désormais, les petites tricheries habituelles se révèlent vaines et absurdes. On ne s’étonne donc pas de voir les survivants finalement déboussolés par leur retour à la civilisation, incroyablement soudés par les épreuves et presque déçus de ne plus avoir à lutter pour leur survie.

Les égarés, Lori Lansens – Traduit de l’anglais (canadien) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné
Editions Alto – 2015 ; 10/18 : 2019
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