La série Buffy contre les vampires ne saurait se résumer à un récit de jeunesse axé sur le surnaturel. Car au-delà d’une surface constituée d’effets spéciaux et de protagonistes lycéens, elle offre une dissection complexe d’enjeux liés au genre et à la société. C’est le parti pris de la journaliste et spécialiste des séries Marion Olité, qui problématise aux éditions Playlist Society la manière dont le show de Joss Whedon a fait écho au féminisme, à la politique, à la transition vers l’âge adulte, et plus généralement à la psychologie sociale.
Avant Buffy Summers, le paysage télévisuel manquait cruellement d’héroïnes positives et complexes, occupant le devant de la scène comme avaient l’habitude de le faire les hommes. Dana Scully avait certes ouvert une brèche avec X-Files, mais Buffy contre les vampires a permis incontestablement de franchir un nouveau seuil, en s’adressant plus spécifiquement aux jeunes spectateurs.rices. Pour le comprendre, il faut se figurer une lycéenne de 16 ans à peine, portant sur ses épaules le sort du monde et chargée de lutter contre des créatures maléfiques.
Ces dernières sont traditionnellement attachées au patriarcat, puisqu’en plus des vampires, on retrouve parmi les principaux antagonistes de la série Le Maître ou Dracula, diminués et dépourvus d’emprise sur l’héroïne. Comme le verbalise très bien Marion Olité, la série met en branle une véritable mécanique féministe, puisque le « female gaze » s’y trouve aussi régulièrement convoqué, par exemple lorsqu’il s’agit de cadrer le corps dénudé d’Angel.
Ce qui ressort de la lecture de Buffy ou la révolte à coups de pieu, ce sont les profondeurs souvent impensées de la série. Les personnages de Spike et Angel évoluent au contact de Buffy, traduisant l’empouvoirment de l’héroïne, tandis que Xander, peu viril, incarne une redéfinition contemporaine de la masculinité. Le paysage institutionnel de la série ne manque pas non plus d’intérêt : la police y apparaît inefficace, expéditive et corrompue, aux ordres d’un Maire à double nature. Mais l’auteure n’oublie pas de repréciser tout ce qui a constitué l’étoffe populaire du show.
Les liens d’amitié du Scooby-Gang, la dualité Bien/Mal, les monstres de la semaine symbolisant les peurs adolescentes, les thématiques du deuil, de la rédemption et de la transition vers l’âge adulte, les sous-discours sur les minorités sexuelles : Buffy contre les vampires avait sans conteste de quoi prendre langue avec son public et ce, d’autant plus que les références y étaient légion : David Lynch, Harry Potter, Dawson, X-Files, Star Wars…
Dans son analyse, jamais empesée, Marion Olité ne cherche pas à ériger Buffy contre les vampires en modèle critique. En revanche, ce qu’elle parvient à effectuer avec beaucoup de justesse, c’est extraire, sous ses dehors innocents, tous les messages sous-jacents qui tapissaient la série – et infusaient dans la tête de ses spectateurs. Bien plus qu’un simple produit de divertissement, elle a énoncé, au fil des épisodes et des saisons, une réflexion utile sur la condition féminine et humaine, en s’inscrivant entre les seconde et la troisième vagues du féminisme, mais aussi en se réappropriant des pans entiers du discours anti-capitaliste. De quoi voir d’un nouvel œil Buffy Summers et ses acolytes…
Buffy ou la révolte à coups de pieu, Marion Olité
Playlist Society, octobre 2023, 160 pages