Le journaliste Stéphane Dugast et le cartographe au journal Le Monde Xemartin Laborde publient aux éditions Autrement un Atlas des grandes découvertes à la fois accessible et passionnant. Ils y reviennent sur les grandes expéditions humaines et sur les nombreux explorateurs passés à la postérité – de Neil Armstrong à Marco Polo en passant par Christophe Colomb ou Charles Darwin.
Stéphane Dugast n’est ni géographe ni historien. C’est en qualité d’auteur et de journaliste qu’il s’est spécialisé dan les expéditions humaines, et notamment polaires. Il le précise lui-même dans l’avant-propos de cet Atlas des grandes découvertes : son ouvrage résulte avant tout d’une documentation exceptionnelle, accumulée durant plus de vingt années, et qu’il cherche aujourd’hui à restituer à bonne distance, c’est-à-dire « sans positivisme, ni angélisme, ni ostracisme ». Pour ce faire, il est épaulé par Xemartin Laborde, cartographe au journal Le Monde. Ensemble, à travers les textes de l’un et les illustrations cartographiques de l’autre, ils narrent pas à pas l’exploration du monde et de ses environnements immédiats et lointains, terrestre, polaire, marin et spatial. Évidemment, il a fallu opérer des choix, synthétiser des sommes complexes, prendre quelques raccourcis, mais cette « exploration des explorations » n’en ressort pas amoindrie. Au contraire, elle y gagne en lisibilité, en souffle, en caractère. Stéphane Dugast raconte les expéditions et leurs découvertes à la manière d’un romancier : avec passion et en donnant corps à ses histoires.
La fin de l’histoire ?
En 2021, les terres inexplorées et les explorateurs risquant leur vie pour les découvrir ou les cartographier semblent appartenir au passé. Pourtant, Stéphane Dugast rappelle à juste titre que la conquête est aujourd’hui d’un autre ordre : elle se rapporte aux fonds marins – rendus difficiles d’accès en raison du froid, de la pression et de l’obscurité – et à l’espace – désormais investi par des entreprises privées comme SpaceX et au sein duquel Mars semble de plus en plus à portée d’homme. La lecture de cet Atlas des grandes découvertes nous amène d’ailleurs à nous interroger sur l’horizon anthropologique. Acceptera-t-on un jour de vivre dans un environnement fermé ? Les aventures vécues par les explorateurs, par passion ou pour des raisons scientifiques et commerciales, laissent au mieux cette question en suspens. Des hommes tels que Paul-Émile Victor pourraient-ils faire leur deuil de leur esprit de découverte ? Marin déçu reconverti dans l’industrie familiale par dépit, celui qui deviendra un éminent logisticien polaire n’est jamais parvenu à mettre son sens de l’aventure entre parenthèses. En rencontrant Jean-Baptiste Charcot, il va se donner les moyens de visiter la région sauvage du Groenland oriental, où il mènera une enquête ethnographique auprès de quelque 800 Eskimos. Il écrit et dessine tout ce qui concerne cette civilisation et multiplie les visites en traîneau à chiens ou en kayak.
Les raisons de l’évasion
En 1969, le président Richard Nixon se félicite de l’exploit technologique et humain que viennent d’accomplir les États-Unis. En direct à la télévision, Neil Amstrong a descendu les échelons du module Eagle pour être le premier homme à poser le pied sur le sol lunaire. En pleine guerre froide, cet événement majeur de l’histoire spatiale sonne comme une victoire par KO pour les Américains. Plus loin dans le temps, les débuts de l’ère chrétienne et les missions d’évangélisation ont justifié l’organisation d’expéditions lointaines. Les Romains avaient quant à eux l’ambition de multiplier les comptoirs en Inde ou au Sri Lanka actuel. Jusqu’à 640 ap. J.-C., ils vont largement s’ouvrir au commerce avec l’Orient. En Afrique, les plus téméraires d’entre eux ont mené des expéditions vers le nord-ouest et le Sahara occidental, vers l’ouest jusqu’au Nigéria ou vers le sud jusqu’à l’Ouganda. Même schéma avec Vénitiens, Génois et Normands, qui ont entrepris dès le milieu du Moyen-Âge d’importants voyages en vue d’étendre le plus loin possible leurs comptoirs, renforçant ainsi la connexion Occident-Orient. Plus proche de nous, au XIXe siècle, le Roi des Belges Léopold II convoquera l’explorateur Henry Morton Stanley à Bruxelles pour rivaliser avec ses puissants voisins en mettant à terme le Congo en coupes réglées.
Quelques grands noms
Stéphane Dugast et Xemartin Laborde reviennent longuement sur les explorateurs passés à la postérité. Les voyages d’Alexandre le Grand vers le Levant, ceux de Pythéas vers le Septentrion, ceux de Christophe Colomb vers Cuba, la Jamaïque et les Amériques ou ceux, toujours aussi fascinants, du commerçant-diplomate-écrivain Marco Polo à travers le monde se trouvent en bonne place dans cet atlas. Vasco de Gama, chargé d’ouvrir la voie des Indes par l’Ouest pour le Portugal, va faire des escales en Afrique, puis parvenir à Kozhikode en Inde en mai 1498, où il obtient le droit de commercer. Ses exploits nous sont contés avec érudition, de même que sa déchéance, tandis que les Portugais souffriront bientôt de la concurrence hollandaise et d’un manque d’armateurs. Le trop souvent oublié Amerigo Vespucci est réhabilité (pour autant que ce soit nécessaire) : les auteurs rappellent qu’il a été le premier à prendre conscience que l’Amérique est un continent à part entière. Celui qui a œuvré à la préparation des voyages de Christophe Colomb a tôt deviné qu’un Nouveau-Monde ouvrait les bras à la civilisation occidentale. Les tours du monde de Fernand Magellan et Francis Drake font également l’objet de développements spécifiques, tout comme les expéditions nordiques de Vitus Béring, ou celles des vikings à travers la Scandinavie, l’Islande ou le Groenland. Sur ces derniers, il est rappelé qu’ils impressionnèrent Ahmad Ibn Fadlan. Courageux navigateurs doublés de redoutables guerriers, les Vikings utilisaient des langskips (des bateaux rapides et maniables) et des knarrs, plus robustes et adaptés aux hautes mers. Ils auraient été les premiers Européens à poser le pied sur le continent américain, découvrant vers l’an 1000 l’île d’Ellesmere.
Un atlas riche et accessible
Le travail de Stéphane Dugast et Xemartin Laborde s’avère aussi passionné que passionnant. Si une telle somme peut de prime abord effrayer le lecteur non initié, son accessibilité et son caractère romanesque – inhérent aux expéditions, que l’on retrouve pour cette raison largement déclinées dans la bande dessinée franco-belge – invitent à se perdre dans des récits vivants et documentés. À cet égard, il est à noter que chaque « fiche » se complète de références bibliographiques permettant de creuser plus avant les points abordés. Ces derniers sont tellement nombreux qu’il nous est impossible de les épuiser ici : le rôle de Louis Jolliet dans l’exploration de l’Amérique du Nord et la découverte du Mississippi est réaffirmé, la réalisation du Génois Pietro Vesconte d’une première mappemonde contenant des informations précises sur les régions de l’Asie et de l’Océan indien est mentionnée, la Conférence de Berlin (1884-1885) visant à partager le Congo entre Belges et Français, puis le découpage arbitraire et rectiligne de l’Afrique, morcelant les peuples et les aires politico-culturelles, font l’objet d’un encadré spécifique. Autant de détails qui se portent au crédit d’un ouvrage dense et (si nécessaire) transversal.
Atlas des grandes découvertes, Stéphane Dugast et Xemartin Laborde
Autrement, novembre 2021, 290 pages