Furie de Brian de Palma : Carrie au bal israélo-palestinien

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Furie ou l’histoire d’un film ordinaire, n’existant que pour convaincre qu’un autre projet pourrait marcher – et qui échoua.

Synopsis : Alors que Robin Sandza (Andrew Stevens) assiste impuissant à une attaque terroriste semblant viser son père, Peter (Kirk Douglas), celui-ci survit et découvre que l’attaque fut manigancé par une agence gouvernementale états-unienne. Leur but: s’emparer de Robin qui possède un don télékinétique, et l’entraîner pour se servir de ses capacités comme une arme. Peter Sandza va alors se lancer dans une chasse à l’homme pour retrouver son fils, qui le fera rencontrer Gillian Bellaver (Amy Irving) une jeune fille semblant partager le pouvoir de Robin et pouvant communiquer avec lui.

Après le succès populaire de son Carrie au bal du diable en 1976, Brian de Palma eu l’envie de continuer à exploiter le thème de la télékinésie / télépathie au cinéma. Son choix se porta sur une adaptation du roman L’homme démoli d’Alfred Bester : l’histoire d’un riche homme d’affaires cherchant à réaliser l’assassinat parfait dans un monde futuriste où l’usage de la télépathie a mis fin à tous les crimes. Seulement voilà, une telle adaptation demande beaucoup de budget, et de Palma peine à réunir des investisseurs. L’idée lui vient alors de réaliser un film moins ambitieux sur le même thème, qui achèverait de convaincre les sociétés de production qu’il est LE réalisateur à qui faire confiance pour ce genre de thriller surnaturel. Ainsi naquit Furie en 1978, adaptation du roman The Fury de John Farris, qui fut d’ailleurs choisi pour élaborer le scenario du film. Ayant totalisé environ 24 millions de recettes mondiales pour 7,5 millions de budget, le film fut toutefois moins convainquant sur le plan commercial que Carrie. Et malgré un accueil critique plutôt positif (le film affiche encore un score de 80% sur Rotten Tomatoes malgré un petit 49% pour le score du public), Furie ne fut pas suffisant pour permettre à de Palma de sortir son Homme démoli. De Palma avait pourtant prévu Kirk Douglas dans le rôle titre dans le but de booster le box-office. 8e long-métrage de sa carrière, on ne peut pas dire que Furie soit la plus retenue ou la plus citée des œuvres de de Palma. Ce dernier a même déclaré qu’il ne faisait pas partie de ses meilleurs films. Il en reste un film qui n’est pas le plus connu de sa filmographie, mais où l’on retrouve une certaine audace dans les thèmes abordées, dans une mise en scène qui ne manque pas de peps.

« Tu as vu des fantômes aujourd’hui, Gillian ? »

Il est assez évident, dès les premières scènes que Furie est un film très ancré dans le style de de Palma. On y retrouve en effet les thèmes favoris du réalisateur : la trahison notamment, le personnage de Ben Childress (John Cassavetes) trahissant Peter Sandza, ou encore – et évidemment – le thème de la télékinésie qu’il avait amplement déployé dans son Carrie au bal du diable deux ans avant Furie. Les deux principaux points forts du film généralement cités par les critiques sont d’ailleurs les effets spéciaux et la musique, tout comme pour Carrie. Une scène en particulier est souvent prise en exemple, celle de la mort de Ben Childress. Au cours de cette séquence, le corps du personnage explose (littéralement) sous la pression mentale de Gillian Bellaver. Il aura fallu plusieurs caméras haute vitesse placées à différents angles pour filmer l’explosion, et deux prises pour avoir un résultat satisfaisant. Selon de Palma : « la première fois n’a pas marché. Les parties du corps n’allaient pas en direction des bonnes caméras et tout le plateau fut recouvert de sang. Il nous a fallu presque une semaine pour pouvoir retenter une deuxième prise » (« the first time we did it, it didn’t work. The body parts didn’t go towards the right cameras and this whole set was covered with blood. And it took us almost a week to get back to do take 2 »). Quant à la musique, elle et signé par John Williams en personne. Le compositeur se serait inspiré des morceaux que Bernard Herrmann avait créé pour les films d’Alfred Hitchcock. Mais plus que dans la bande-originale du film, l‘influence d’Hitchcock se ressent aussi dans la photographie de certains plans, notamment dans la mise au point faite sur les différents plans d’un cadre ou dans la superposition d’objets en mouvement flous sur un plan fixe de regard (par exemple, dans la scène ou Gillian fait fonctionner un train miniature par la pensée).

En revanche, certains reprocheront à Furie de n’être qu’un « sous-Carrie« . Il faut dire que plus que de partager un même sujet, Carrie au bal du diable et Furie ont bien d’autres similitudes. L’héroïne, Gillian, est une adolescente bouleversée et moquée par ses camarades de lycée et semble ne vivre qu’avec sa mère, tout comme Carrie. Et si Robin semble changer la donne en étant un garçon, il garde les même caractéristiques que Gillian et Carrie : il ne vit qu’avec son père et est aussi troublé par ses pouvoirs, il déclare d’ailleurs lors de la scène d’introduction : « je ne suis pas comme les autres, si seulement je savais ce qui ne va pas chez moi ». Les ressemblances entre les deux long-métrages sont telles, que de Palma prévoyait même le rôle de Gillian Bellaver pour Sissy Spacek, l’interprète de Carrie. Le rôle fut au final donné à Amy Irving, qui était en outre également présente au casting de Carrie au bal du diable, puisqu’elle jouait Susan Snell, jeune camarade de Carrie l’ayant prit en pitié. Pour boucler le tout, Brian de Palma a même réutilisé pour Furie certaines des idées qu’il envisageait pour son précédent film. La veine apparente et battant au rythme des pulsations cardiaques sur le front des personnages quand ils utilisent leur don télékinétique notamment, était originellement dans le script de Carrie au bal du diable, mais fut coupé en raison du faible budget de celui-ci.

« Ce qu’une culture ne peut pas assimiler, elle le détruit. »

Mais au delà du thème de la télékinésie, Furie évoque aussi d’autres sujets bien moins anticipés. En effet, l’ouverture du film nous plonge sur une plage en Israël où Robin et Peter Sandza profitent d’une sortie familiale. C’est là que de Palma fait se déchaîner un attentat terroriste mené par des hommes qui, tout porte à le croire, sont Palestiniens. Le film sort en effet en 1978, soit 30 ans après le début du conflit israélo-palestinien. Tout est dans le non-dit de la mise en scène : alors qu’un texte nous informe simplement que nous nous trouvons dans le Moyen-Orient en 1977, de Palma glisse en arrière plan un drapeau israélien et quelques écritures en hébreu. Les terroristes quant à eux portent le keffieh traditionnel palestinien. De ce constat le scénario fait intervenir une agence gouvernementale étasunienne,  qui se trouve être l’organisatrice de l’attaque terroriste par le biais du personnage de Ben Childress. Furie constitue en ce sens une certaine dénonciation des interventions américaines et internationales dans le conflits israélo-palestinien. Le conflit se retrouve aussi lors de la scène du parc d’attractions. Robin Sandza y voit un groupe d’hommes portant des keffiehs et se venge par folie de l’attentat contre eux. Ainsi, l’agence gouvernementale qui a précédemment organisé l’attentat contre Israël est maintenant responsable de la mort de Palestiniens via Robin, l’arme qu’ils ont entraîné et libéré dans la nature.

Le film met aussi en scène la descente dans la folie de ce personnage. Du début à la fin du film, Robin Sandza passe de jeune-homme sain et plein de projets à un être sans considération qui tue sans remord. Cette évolution est sans conteste provoqué par l’attentat de l’introduction, au cours duquel il voit le bateau utilisé par son père exploser, croyant celui-ci mort. Mais c’est aussi l’entraînement qui lui est imposé qui le déshumanise, car le seul but est d’en faire une arme. Le personnage de Ben Childress l’évoque lors d’une conversation avec le docteur Jim McKeever (Charles Durning), chargé de tester les jeunes doués : « les Chinois n’en ont pas, les Soviétiques n’en ont pas ». Ce dialogue rajoute le contexte de la Guerre Froide au propos du film, et par la même occasion, la course à l’armement à laquelle les blocs américain et soviétique se sont mesurés. Plus loin dans le film, Childress et le docteur Susan Charles (Fiona Lewis) craignent la dangerosité de l’arme qu’est devenu Robin Sandza par un « nous sommes allés trop loin ». Difficile alors de ne pas penser à la création de la bombe nucléaire lors du projet Manhattan de 1942. Furie constitue ainsi une véritable critique de la course à l’armement et du progrès malveillant. L’aliénation de Robin Sandza va si loin qu’il essaie même de tuer son père après que celui-ci l’ait retrouvé. Symboliquement, l’arme se retourne ainsi contre son créateur.

Derrière ce film qui ne paie pas de mine – dont même le réalisateur précise qu’il n’est pas de ses meilleurs films – se cache ainsi un propos riche de sens. Avec une mise en scène reflétant la patte caractéristique de de Palma desservie par des effets spéciaux et une musique acclamés par la critique, Furie est plus qu’un thriller surnaturel dont le but était de valider un futur projet : il est une critique de son époque. Dans un contexte de Guerre Froide et de conflits au Moyen-Orient, il est une dénonciation de la course à l’armement et du cirque de la politique internationale.

Furie : bande-annonce

Furie : fiche technique

Réalisation : Brian de Palma
Scénario : John Farris
Casting: Kirk Douglas, John Cassavetes, Carrie Snodgress, Charles Durning
Photographie : Richard H. Cline
Montage : Paul Hirsch
Musique : John Williams
Production : Jack B. Bernstein, Ron Preissman, Frank Yablans
Société de production : Frank Yablans Presentations
Société(s) de distribution : 20th Century Fox
Budget : 7,5 millions de dollars
Genre : thriller surnaturel
Durée : 118 minutes
Date de sortie : 10 mars 1978 (États-Unis)

Auteur : Jeap Horckman