Rencontre avec Miguel Llanso pour son film Crumbs

FEFFS 2015, compétition internationale, rencontre publique avec Miguel Llanso pour son film Crumbs

Synopsis: Dans un paysage post-apocalyptique, situé en Ethiopie, Birdy (Daniel Tadesse), passe son temps entre faire la cour à son « oiseau d’amour » Candy (Selam Tesfaye) et ramasser les miettes (« crumbs » en anglais) d’une civilisation révolue, qui ressemblent étrangement à des articles de consommation. Le réveil d’un vaisseau spatial endormi nourrit son rêve de rentrer chez lui. Muni de son épée « une relique estampillée Carrefour » et son « amulette protectrice » une figurine Tortue Ninja, il va se lancer dans une quête surréaliste impliquant des créatures comme des sorcières, des guerriers masqués,  des nazis seconde génération et, le Père Noël…

Crumbs mérite sans doute le prix de l’originalité dans ce cru 2015 de la compétition internationale du FEFFS. Ce film post-apocalyptique inclassable, à forte identité éthiopienne, nous fait voyager entre science-fiction, histoire d’amour et surréalisme, à travers des paysages somptueux d’Ethiopie.

Nous avons eu la chance de croiser le réalisateur de cette œuvre unique, Miguel Llanso, qui nous a dévoilé une partie de la genèse de son œuvre.

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– Miguel, comment avez-vous trouvé ces endroits magnifiques que vous filmez, comme la voie de chemin de fer ou les chamois, et tout ça?

Je vivais en Ethiopie en 2008, j’avais un autre travail, je me baladais beaucoup et j’ai remarqué toutes sortes de paysages vraiment beaux. Ce sont ces paysages qui m’ont inspiré pour le film. Il y avait des lieux que je connaissais déjà comme le volcan ou la forêt avec le lac. Par contre, pour le parc d’attraction complètement abandonné, on l’a découvert par hasard, on l’a vu au loin. Apparemment, un arabe avait commencé à construire ce parc à thème au milieu de nulle part et puis finalement le projet a été abandonné. L’histoire se corse… On pensait que le lieu était abandonné, et qu’on allait filmer sans problème, mais des brigands sont arrivés se proclamant propriétaires du lieu, et ont sorti leur Kalachnikov AK 47. Alors on a dit  « ok, on filme pas ». Ils ont répondu, « si, si, vous allez filmez, mais vous allez devoir payer ». Et il y a eu un deuxième groupe de bandits qui est arrivé, encore plus balaises, et ils ont commencé à se battre. Nous étions entre les tirs croisés et on se demandait bien ce qu’on faisait là.

Pourquoi n’avez-vous pas filmé cela?

Nous avions très peurs, donc on n’a pas osé filmer. On s’est dit peut-être qu »il y en avait un qui allait détruire la caméra. Si ça avait été pour tuer le directeur de la photographie ok, mais la caméra pas question! (rires du public). Concernant la gare abandonnée, c’était un don de Robert Mugabe à la ville. Il y avait une cinquantaine de wagons, on ne pensait pas qu’ils n’allaient pas fonctionner puisqu’ils étaient là depuis les années 80. Finalement le système a marché et moyennant 20 euros, on a pu utiliser la locomotive.

– Nous avons beaucoup aimé votre film. Israel (ndlr: Israel Seoane, directeur de la photographie) a fait un travail fantastique. Est-ce lui qui a également composé toute la musique ?

Non, Israel est le directeur de la photographie. C’est un de mes amis José -assez déprimé à l’époque- qui a composé plein de musiques en 2008-2009 chez lui et les enregistraient sur cassettes. Un jour il me les a faites écouter. Je lui ai demandé si je pouvais les utiliser. Il a accepté, ça collait bien…

 – Parlez-vous la langue du film (ndlr: l’éthiopien)?

Non, je ne parle que quelques mots, c’est une langue difficile. C’est mon ami coproducteur Yohannes Feleke, avec qui j’ai déjà collaboré sur 5-6 projets, qui parle cette langue. C’était super utile qu’il soit sur le plateau. Quand je tournais, je n’avais aucune idée de ce que les personnages disaient. Si ça se trouve, ils disaient vraiment n’importe quoi (ndlr: rires du public). Une fois que c’était fini, je demandais à Yohannes : « Alors ça s’est bien passé? Ils ont bien joué? » Et lui il était là sur son téléphone « Ouais, ouais, ça va, ça va ». Je vais le projeter en Ethiopie en octobre, alors on verra bien ce que les gens vont me dire. Si ça se trouve, ils vont me dire « mais ça veut rien dire ton film » ( ndlr: rires du public). De toute façon, je pense que ça ne veut un peu rien dire.

– Comment vous est-il venu l’idée de faire ce film?

L’idée est venue d’un autre projet que j’ai fait avec Daniel (ndlr: Daniel Tadesse Gagano). Son rôle était celui d’un clone d’Hitler. Il se balade dans les bars et tout le monde lui fait « Salut Hitler, ça va? », et se fout de sa gueule. Et du coup avec cette idée d’extraire tout le sens des symboles, ça nous a un peu fait penser à tous ces objets qui sont dans le film, ça nous a donné des idées pour Crumbs. C’est cela que nous voulions aussi explorer dans le film, à savoir comment donner une touche, un sentiment à un paysage, comment donner un sentiment à une personne dès qu’on la rencontre, comment apporter une touche très particulière.

La plupart des acteurs n’était pas des professionnels, c’était simplement des personnes que l’on avait rencontrées comme ça.

– Merci d’avoir créé une nouvelle société en quelque sorte. Avez-vous inventé ou construit des décors, et d’abord essayé d’inventer de toute pièce, un nouveau système de pensée?

Non, l’idée n’était justement pas de créer des choses de toute pièce, ou de les imaginer dès le départ. C’était de prendre une réalité qui était déjà là, et d’en faire quelque chose de complètement différent. Par exemple, tu peux avoir un jardin, et tu peux le filmer de manière à ce qu’il ait l’air plus magique, comme une forêt un peu enchantée. Ce que l’on voulait, c’était justement partir du réel et en faire quelque chose de visuel avec une sensation totalement différente et imaginaire. Quand on parle de la réalité comme ça, on n’a pas besoin de millions pour créer quelque chose de toute pièce. Il y a seulement besoin d’un œil, et de suivre ses envies.

En tout cas, pour la conception, c’est marrant parce qu’on a reçu un prix par le réalisateur du Seigneur des anneaux à Neuchâtel, il nous a dit « l’essentiel n’est pas de construire, l’essentiel est d’avoir un point de vue ».

– J’ai beaucoup apprécié tous les clins d’œil au cinéma que j’ai aperçus dans le film, notamment celui de Once Upon a Time in the West (ndlr: Sergio Leone). Je voulais savoir quelles ont été vos sources d’inspiration?

Je suis en fait très intéressé par les westerns spaghetti, comme ceux de Sergio Leone, mais surtout toutes les comédies tragiques et l’irréalisme, ce cinéma un peu plus méditerranéen, avec des réalisateurs comme Buñuel , Berlanga en Espagne, Vittorio De Sica, Rosselini, Fellini, Pasolini, Marco Ferreri

– Bravo pour votre film qui crée un univers si particulier et si immersif, en raison surtout des deux acteurs principaux, qui comme vous l’avez dit tout à l’heure sont des non-professionnels, et qui débordent de naturel, et donc je voulais savoir comment vous avez mené votre projet avec ces deux acteurs néophytes?

Ce n’est pas tout à fait juste parce qu’en fait, les deux personnages principaux sont des acteurs. Daniel (ndlr: Daniel Tadesse Gagano) a déjà fait une douzaine de films, il travaille surtout pour le théâtre, et Selam (ndlt; Selam Tesfaye) travaille aussi pour le cinéma.

Pour les autres personnages, il faut trouver une façon de les décrire, de les mettre à l’écran. Par exemple pour le personnage du Père Noël, c’était un ancien combattant de la guérilla, et au début quand on a écrit pour lui, pour son personnage on s’était dit qu’on allait en faire une rock star. Mais l’idée du Père Noël est arrivé, alors on s’est dit, on jette le script à la poubelle, on fait ce que l’on veut. Finalement, c’était plus important de le montrer lui, que d’aller au bout de mes idées stupides. De même, pour l’homme du train, on lui avait écrit un très long monologue mais il n’arrivait pas à s’en souvenir. Il faisait des bruits bizarres, donc je me suis dit « si c’est comme ça qu’il est, on va l’accepter comme tel ».

– Comment imaginez-vous les circonstances de l’apocalypse dans le film?

Quand on imagine l’histoire, on voit toujours les choses en grand, on pense aux pyramides en Egypte, les textes présocratiques, …, et c’est pas vraiment fascinant de savoir qu’en quelques clics, on peut avoir accès par exemple à la bibliothèque d’Alexandrie (…)

A mon avis l’apocalypse est déjà là: la mondialisation n’apporte qu’un flot de merdes dans ce monde. Quand vous allez à Addis-Abeba, vous voyez ces paysages magnifiques, qui viennent des années 60, vous passez des heures à boire des cafés avec vos amis et autour vous voyez ces nouvelles constructions, vous êtes alors un peu dégoûté. Quand je suis arrivé à Addis-Abeba, je voulais trouver des vinyles, de la musique traditionnelle éthiopienne, et finalement c’était plus simple de trouver des cd de Beyoncé…

Merci beaucoup Miguel
Propos recueillis lors de la rencontre publique du 22/11/15, avec Miguel Llanso pour son film Crumbs.