PIFFF, Paris International Fantastic Film Festival jour 4 : fantasmes et réalité

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PIFFF 2014, troisième jour de compétition : fantasmes et réalité

Vendredi 21 novembre, boulevard des Capucines. On commence à se rapprocher de la fin. Après la copieuse mais passionnante journée de la veille, celle-ci sera plus tranquille : « seulement » trois films à voir. Pour moi, ce sera la fin du PIFFF. Je sens comme une pointe de regret à l’idée de louper la nuit extra-terrestre, qui s’annonçait furieusement fun. C’est la vie, il faut savoir faire des choix. Après avoir passé trois journées enfermées dans les salles obscures, un peu d’air frais ne peut faire que du bien. Ouais, c’est ça…

Bienvenue dans la matrice

Pour ouvrir le bal, je passe directement à la Séance Culte. Nouveau bijou sélectionné par Fausto : Avalon, de Mamoru Oshii. J’ai de vagues souvenirs de l’avoir vu il y a presque dix ans dans la Séance Interdite sur Canal +. Oshii est visiblement un cinéphile averti, gorgé de références venues de tous les horizons, y compris d’Europe. Il a notamment été très marqué par Chris Marker. Encore un. Sérieusement, si vous ne l’avez pas encore fait, regardez La Jetée, c’est probablement le court-métrage qui a le plus marqué les deux dernières générations de réalisateurs.

La Jetée (1962) (Chris Marker)

Bref, Avalon est un film mêlant réalité et virtuel à l’image d’un Matrix ou d’un Existenz avant lui, mais dans un style qui lui est propre. Ici la froide réalité fait écho formellement à un monde issu du jeu vidéo aux accents militaires, sur fond de guerre civile. Les meilleurs joueurs d‘Avalon peuvent vivre grâce à leurs prouesses virtuelles, à une époque ou l’e-sport n’est encore qu’un lointain rêve pour les européens. Et le parcours d’Ash a des échos philosophiques qui se mêlent à sa quête existentialiste.

Loin de l’action furieuse d’un Matrix, Avalon prend le temps de dérouler son univers presque onirique dans de longs plans à la photographie travaillée, et la seconde partie du film fait plus penser à un parcours zen. Oshii privilégie une certaine lenteur, qui sublime la réalité par rapport au virtuel. C’est long, beau, et contemplatif. Petit bémol, tout de même, mais qui ne doit rien au travail du réalisateur : la traduction. Avalon déroule ses dialogues en Polonais, et les sous-titres, du moins ceux présentés au PIFFF, étaient pour le moins laborieux, et empêchaient de bien se projeter, en donnant parfois l’impression de passer à côté du sens profond de telle ou telle réplique.

Misery sauce ibère

Retour à la compétition à présent avec Shrew’s Nest, du duo Espagnol Juanfer Andrés-Esteban Roel, dont il s’agit du premier long-métrage. Comme la veille, la salle s’est bien remplie, les films projetés en début de soirée bénéficiant décidément d’une bien meilleure exposition. La bonne santé du cinéma fantastique venu de l’autre côté des Pyrénées, ainsi que la présence à la production du génial Alex de la Iglesia augurent du meilleur.

Shrew’s Nest (Musarañas en VO) est un huis-clos centré sur deux sœurs dont l’une d’entre elle, agoraphobe au dernier degré, ne peut quitter leur appartement. L’arrivée soudaine d’un jeune homme au passé mystérieux va perturber leur quotidien, tandis que la plus âgée des deux sœurs va bientôt céder à la folie qui couve en elle. L’ombre de Carlos Saura plane sur ce film, qui doit aussi beaucoup à Polanski, notamment à Répulsion, auquel les réalisateurs font un hommage plus qu’appuyé.

Shrew’s Nest démarre sur de très bonnes bases. Un huis-clos étouffant, des personnages attachants malgré leur défauts, et dont la relation est juste assez malsaine pour intriguer, le tout assorti d’une critique de la religion qui manque peut-être un peu de subtilité. La montée en puissance de la tension est parfaitement maîtrisée…jusqu’à ce qu’elle déraille complètement, alors que le scénario tente de prendre plus d’ampleur. Le dernier tiers du film bascule ainsi dans un déchaînement de violence aussi inattendu que ridicule. La preuve en est la réaction de la salle, éclatant parfois de rire à des moments supposés être plus repoussants qu’amusants. Et ce n’est pas le twist final, grossier, attendu et poussif, qui va sauver le tout. Ma première vraie déception du PIFFF. On ne peut pas gagner à tous les coups…

Symphonie en fouet majeur

Fin de journée avec la traditionnelle Séance Interdite qui, comme le dénote Fausto, n’a jamais aussi bien porté son nom. R100, du fantasque réalisateur Japonais Hitoshi Matsumoto, fait en effet référence au système de classification des films nippons, et serait donc interdit aux moins de 100 ans. Et on comprend un peu pourquoi en voyant l’affiche du film étalée sur grand écran, sur laquelle des femmes vêtues de cuir aguichent le spectateur de leur regard langoureux…et de leurs cravaches. Ambiance, une nouvelle fois.

R100 raconte comment un homme ordinaire, vivant une vie ordinaire, se retrouve soudain le jouet d’une bande de reines du SM après s’être inscrit à un programme spécial dans un club de bondage. Les choses vont rapidement prendre une tournure malsaine, au point que les producteurs hésitent à laisser le film sortir en salle. Pendant ce temps, plusieurs personnages ont l’impression de ressentir un terrible tremblement de terre. Le tout sur l’air de l’hymne à la joie de Beethoven.

Voilà, ça vous paraît un peu foutraque, complètement déjanté, totalement décousu ? C’est parce que ça l’est. Après l’incroyable délire visuel de Miike en ouverture, le PIFFF nous offre un nouvel exemple de cinéma comique à la Japonaise, un genre auquel nous ne sommes que trop peu habitués. Bien loin de l’esthétique cartoon de Mole Song, R100 s’ancre bien plus dans la réalité, tout en explosant régulièrement en des bouffées de grand n’importe quoi, aussi surprenantes que gratuites.

 

Matsumoto mixe ainsi avec délice les scènes très sérieuses et les délires les plus totaux, avant de basculer totalement à mi-parcours, délaissant le réalisme pour un joyeux bazar rythmé et sauvage. La séance se termine par une scène d’amour qui laisse la salle dans un état de jubilation sauvage. Ça crie, ça rit, ça applaudit, tout l’esprit déjanté du PIFFF est résumé dans cette seule projection.

Et c’est donc sur cette note positive que se termine pour moi le PIFFF 2014. Un excellent cru, une nouvelle fois, mêlant grands classiques du genre, films ultra-pointus et introuvables, et futurs chefs d’oeuvre. Sur les quatre films vus en compétition, mon favori est clairement The Duke of Burgundy, même si Starry Eyes, qui sera diffusé cet après-midi, arrive précédé d’une jolie réputation… Il n’y a plus qu’à dire à l’année prochaine, vive le cinéma fantastique et vive le PIFFF !!!

Auteur : Mikael Yung