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A l’Etrange Festival, on va de surprises en surprises

Il ne reste plus que quelques jours de compétition à l’Étrange Festival, mais la programmation continue à réserver chaque jour son petit lot de films étonnants :

The Sion Sono, La Dernière Vague, Détour et Where Horses go to Die

Plongée passionnante dans le travail et la vie du cinéaste Sono Sion, The Sion Sono de Arata Oshima est un documentaire unique et précieux qui permet de faire découvrir un artiste iconoclaste, prolifique mais au final assez mystérieux. Qu’on le voit en pleine conception de son travail soit pour un film ou dans ses peintures, on se fascine pour la réflexion brillante de l’homme qui arrive à réaliser pas moins de 4 films en un an. Mais ce qui intéresse le plus ici, c’est son intime. Son rapport avec le cinéma des autres, ses racines et sa femme. On est confronté à sa façon extrême de pousser ses acteurs mais aussi à ses réflexions sur la vie et sur son pays après le drame de Fukushima. Bien fait, débordant de passion et d’humour, le documentaire plaira assurément aux fans du cinéaste mais devrait aussi intéressé ceux qui s’intéresse en cinéma. Par contre, ce n’est pas cette exploration de sa vie qui devrait réconcilier ses détracteurs avec son cinéma.

On a aujourd’hui tendance à oublier que Peter Weir (Le cercle des poètes disparus, The Truman Show…) a fait ses premières armes dans le domaine du fantastique, mais heureusement le rockeur Jaz Coleman a profité de la Carte blanche que lui a accordé l’Etrange Festival pour nous faire redécouvrir un sommet du cinéma de genre australien : La dernière vague. En se voulant à la fois un thriller juridique et une initiation au mysticisme tribal, le scénario s’aligne parfaitement sur le double niveau de perception des aborigènes tel qu’il est décrit dans le film, c’est-à-dire via l’existence d’une dimension spirituelle parallèle à notre monde matérialiste, et ce pour mieux étudier la place de ces natifs dans l’Australie contemporaine. On suit, à travers les yeux du personnage d’avocat brillamment interprété par Richard Chamberlain (qui tenait là son meilleur rôle), toute une interrogation sur la négation de la culture ancestrale de ces indigènes locaux par la bien-pensance moderniste ainsi que sur la condescendance avec laquelle ils sont traités, en premier lieu par sa propre femme. De plus, en ne chargeant pas la dimension fantastique de son film en effets spéciaux tape-à-l’œil, Weir s’est assuré de signer l’une des œuvres du genre qui a le moins vieilli ainsi qu’un discours universel sur le besoin de se pencher sur les acquis de nos aïeux pour éviter le pire de ce qui est à venir.

Christopher Smith est un cinéaste qui a déjà une certaine réputation, et il vient ici définitivement l’asseoir avec son Detour. Le film est un leçon de cinéma en ce qui concerne le montage et la mise en scène, tout transpire la virtuosité pour venir mettre en image à la fois un road trip prenant et en parallèle un huit clos sous tension. Déconstruisant son récit avec brio, Smith s’amuse de la linéarité de l’ensemble et à brouiller les pistes dans un jeu incontrôlable qui montre comment une journée peu très mal tourner. Confrontation des points vues, utilisation intelligente des splits screen etc. Tout ça vient brouiller la perception du spectateur pour mieux le prendre par surprise. Malheureusement c’est aussi là que l’oeuvre trouvera une certaine limite, car si le tout marche très bien pour le premier twist, il faut reconnaître que la sauce prend plus difficilement par la suite. La deuxième partie du récit tombe dans quelques facilités et peine à se renouveler. Mais l’écriture reste malgré tout impeccable, arrivant à rendre son trio principal vraiment attachant, surtout qu’ils sont interprétés à la perfection notamment Tye Sheridan qui signe son meilleur rôle. Detour est une réflexion habile sur le meurtre, que ce soit à travers ses justifications et ses conséquences, il est mis en scène avec minutie et il se doit assurément d’être vu car il est un indispensable pour tout amateur de cinéma et de grand divertissement.

Parce que l’Etrange Festival n’a jamais eu peur de s’aventurer dans le domaine du cinéma estampillé « LGBT militant » ou « queer », l’une des réalisations les plus frapadingues de cette compétition nous vient de Where Horses go to Die, signé par le jeune Antony Hickling, dont le pape du genre Bruce LaBruce avait salué le précédent film, le moins barré mais aussi poétique Little Gay Boy. Cette fois-ci le cinéaste nous fait vivre de l’intérieur les divagations fantasmatiques d’un homme qui a encore du mal à assumer son homosexualité mais qui va se décoincer au contacter de personnages haut en couleurs. Le film sombre vite dans un certain onirisme très sexué, jouant tout autant sur ses ambiances monochromatiques que sur la sublimation des corps. Ces envolées lyriques, qui peuvent être très drôles, nous invitent évidemment à profiter des délices de la chair mais aussi à ne pas avoir peur de ce formatage moral et esthétique prôné par le cinéma mainstream et dont Hickling s’affranchit avec brio. Parce qu’il ne dure pas longtemps, le film ne sombre pas, comme beaucoup, dans la surenchère graphique et nous laisse sur le souvenir d’une œuvre aussi libertaire que bien inspirée.