Le Festival du Film Coréen de Paris s’achève dans une explosion de sang… et d’amour

Après une semaine de cinéma de haute volée et de files d’attentes sur les Champs-Elysées, le 11ème Festival du Film Coréen à Paris vient de prendre fin. Les trois derniers films que nous y avons vu sont la preuve, pour ceux qui en douteraient, du caractère jusqu’au-boutiste du cinéma coréen.

Section Paysage : Seoul Station de Yeon Sang-ho (déjà disponible en VOD)

Aux abords de la gare de Séoul, peuplée de centaines de SDF, une jeune fille cherche à fuir son petit-ami qui veut se servir d’elle comme prostituée. La course-poursuite s’engage alors qu’une étrange pandémie qui transforme un à un les habitants de la ville en morts-vivants mangeurs de chair.

Soirée d’Halloween oblige, le Festival nous a organisés une petite soirée à thème autour de deux films de zombies : Dernier train pour Busan, qui a connu cet été un succès rarement atteint par un film coréen en France, précédé par un autre film du même réalisateur, que beaucoup considèrent comme son prequel animé (alors qu’il a en réalité été réalisé en amont). Bien avant son premier film live, Yeong Sang-ho s’était en effet fait connaitre pour ses dessins-animés ouvertement trash et politiquement incorrect, tel que le fameux The King of Pigs en 2011. Son histoire d’invasion zombie de la capitale coréenne est dans cette veine, offrant une peinture terriblement morbide de la ville, à tel point que l’origine de l’épidémie y apparait comme le fruit de l’exclusion de sans-abris à qui l’on refuse l’accès aux soins. L’intrigue qui lie les personnages principaux étant liée à une sordide affaire de prostitution et de domination masculine, on pourrait presque regretter que la dimension horrifique vienne perturber cette plongée pour le moins alarmiste dans ce que la société séoulienne a de moins glamour. Toutefois, la tension avec laquelle ce film d’épouvante parvient littéralement à nous prendre aux tripes, en jouant davantage sur la bestialité humaine que sur le gore, est surprenante, en particulier de la part d’un film d’animation. Quand bien même les graphismes et leur fluidité pourront déplaire aux spectateurs hermétiques au style manga (leurs plus gros défauts étant en fait le peu de détails et que les ombres portées ne correspondent pas forcement aux sources de lumière), le ton est à ce point aux antipodes du bon-sentimentalisme consensuel du Dernier tain pour Busan que l’on se prend une claque d’une rare violence. Âmes sensibles s’abstenir.

Asura : The city of madness de Kim Sung-soo (date de sortie encore indéterminée)

Han est un flic véreux à la botte du maire de la ville, chargé de faire disparaitre les indices (et les témoins) dans certaines de ses affaires illégales. Après une bavure, le procureur essaie de le faire chanter pour l’aider à faire tomber son patron dans un double-jeu qui s’annonce sanglant.

Une plongée en enfer. C’est exactement ce que nous propose Kim Sung-Soo (La Princesse du désert, Genome Hazard…) en nous faisant suivre au plus près une enquête policière sordide dans la ville fictive d’Asura. Ce nid de vipères gangrené par tous les vices est la scène d’une guerre entre deux hommes de pouvoirs. Alors que ce schéma qui aurait mené beaucoup de réalisateurs dans une histoire manichéenne, et même si le personnage du maire, magistralement interprété par Hwang Jung-Min (le chaman dans The Strangers) est une figure méphistophélique redoutable, les méthodes de son adversaire, le juriste incarné par Kwak Do-won (le héros de The Strangers) sont loins d’être moralement défendables. Pris entre ces deux hommes de pouvoir, le personnage principal tentera un cheminement rédempteur, que le réalisateur semble tenir à rendre irréalisable dans sa volonté de faire de ce polar un film noir au sens le plus désespéré du terme.  Il est important de se rendre compte à quel point Jung Woo-Sung est considéré en Corée comme un sex-symbol pour prendre pleinement conscience de l’ardeur avec laquelle il est malmené, comme jamais on n’imaginerait un acteur hollywoodien de cet acabit se faire à ce point brutaliser. Car tout le film semble fonctionner sur cette envie d’offrir une représentation de la violence qui dépasse toutes les limites de l’acceptable, quand bien même on sait le cinéma coréen facilement enclin à aller dans le brut. Le scénario, et ses retournements de situations justifiés par des trahisons et des corruptions, n’est en soi qu’un prétexte à une escalade de la violence qui, même si elle est formellement maitrisée, est parfois si peu justifiée qu’elle prend alors l’allure d’une surenchère outrancière. Encore une fois, les âmes sensibles feraient mieux de s’abstenir.

Film de Cloture : Worst Woman de Kim Jong-Kwan (date de sortie encore indéterminée)

La journée d’Eun-hee, une jeune actrice, commence normalement mais se voit perturbée par ses rencontres successives avec trois hommes : Un auteur japonais qu’elle ne connait pas, son petit-ami avec qui elle a rendez-vous, et son ex-amant qu’elle n’espérait pas recroiser.

Changement radical de registre avec un feel-good movie teinté de douceur. A l’exact opposé de l’horreur urbaine des deux films précédents, Séoul est ici présentée dans ce qu’elle a de plus bucolique : Petites ruelles aux couleurs pittoresques et parcs verdoyants, les décors se prêtent parfaitement à la délicatesse estivale de cette petite histoire. Les personnages se croisent, se rencontrent, se séparent… Ce schéma typiquement vaudevillesque est exploité avec un grand souci de poésie, au risque d’ailleurs de nuire à la rythmique globale de son développement. Que l’héroïne déclare à la toute fin que sa journée ressemble à une pièce de théâtre n’est en cela pas un hasard. Han Ye-ri (vue dans l’excellent Sea Fog) est un petit bout de femme qu’il serait difficile d’imaginer plus attachant, et ses histoires d’amour tourmentées sont mises en scène avec une certaine finesse, se basant sur de longs dialogues, filmés de manière langoureuse. La durée diégétique du film sur une journée n’est pas tout à fait respectée, puisque la construction emploie un long flashback, toutefois indispensable au romantisme du récit. Ce charme voluptueux trouve ses limites dans la platitude du scénario, limité et convenu, mais non dénué d’humour, qui reste lui aussi calqué sur ce ton léger. Bref, tout ce qu’il fallait pour quitter le Festival en douceur.

 

Rédacteur