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Arras Film Festival, 25ème édition : Partir un jour, sans retour

Et si résister, c’était chercher autre chose pour se trouver ailleurs ? Les films de cette 25ème édition de l’Arras Film Festival rappellent l’homme à ses racines nomades au travers de personnages qui payent au prix fort leur besoin de changer d’air.

C’est notamment le cas de Au pays de nos frères, un film iranien de Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, qui raconte trois destins sur trois époques différentes d’Afghans réfugiés en Iran pour échapper aux guerres qui n’en finissent pas. À la saga romanesque étendue sur plusieurs époques à laquelle se prête le sujet, le duo opte pour un récit choral. Trois histoires pour trois familles différentes, mais unifiées sur une même ligne de force : le secret, impossible à porter, et inenvisageable à partager. Ceux que les personnes nées ailleurs doivent garder pour elles pour ne pas repartir. Une parole empêchée et filmée sur trois variations différentes à l’aune d’une mise en scène qui évite soigneusement de tomber dans l’exercice de style pour autant. Au pays de nos frères réussit à créer du temps long et de la continuité sur trois compartiments narratifs ramassés et autonomes, et se conclut sur une fin aussi déchirante que libératrice, comme si la parole se libérait enfin, pour tous ceux et celles qui l’ont précédée. Un peu comme Romain Duris dans Une part manquante, les personnages gagnent enfin plus que le droit de ne plus garder le silence.

Dans Mikado, Félix Moati et Vimala Pons incarnent un couple de bohèmes qui élèvent leurs enfants sur la route et sans destination fixe. Jusqu’à ce qu’une panne du mobile-home ne les contraigne à poser leur valise chez Ramzy Bedia, professeur de français étouffant dans sa sédentarité… L’argument d’un choc des coutumes et des cultures, comme le cinéma français les affectionne souvent au détriment du cinéma tout court, ne constitue heureusement que la portion très congrue de Mikado.

L’intérêt du nouveau film de Baya Kasmi réside avant tout dans le portrait du Mikado éponyme, justement, boule de nerfs qui tourne en rond comme s’il était confiné et immobilisé par les circonstances. Dans le rôle, un Félix Moati à fleur de peau, l’explosion au bord des lèvres et du gros plan qui impose sa détresse sous-jacente au centre de l’attention. Face à lui, Ramzy Bédia fait l’effet d’un peuplier qui bouge avec le vent, astreint au sol par ses racines trop profondes. Leur opposition de style et de physionomie constitue la meilleure partie d’un film malheureusement tributaire d’une intrigue secondaire pas assez dense pour prendre le lead à mi-parcours. Une coming-of-age story contre une autre, le retour d’un adulte au monde qu’il essayait de fuir pour la rencontre d’une adolescente avec celui-ci, comme deux films qui n’en font pas tout à fait un.

Le Panache joue aussi (un peu) la carte du déracinement. Celui de Colin, adolescent bègue emménageant avec sa mère dans la région natale de cette dernière. Son initiation au théâtre par un professeur de français affranchi des conventions corsetées de son nouveau collège privé/catho va lui paver le chemin vers l’émancipation… Tradition qui fait la sourde oreille à tout vs modernité qui parle fort, vieille garde professorale grisâtre vs prof lumière, droit chemin vs chemins de traverse… Bref, Le Panache n’existerait pas sans Le Cercle des poètes disparus, et Jennifer Devoldère ne s’en cache pas. Pour autant, son film mérite bien mieux qu’une filiation forcément écrasante. Notamment parce que Le Panache affiche la générosité des aventures collectives à la coming-of-age story égocentrée attendue, où les seconds rôles servent de sparring-partners au parcours du héros-timide-qui-découvre-le-mec-génial-qui-sommeillait-en-lui .

« Arrête de tout ramener à toi », dit son love interest à Colin, dont l’éclosion est d’autant plus belle qu’elle s’avère généreuse car à disposition des autres. La mise en scène procède du même esprit, en privilégiant l’écoute sur les mots pour cheviller le spectateur au parcours du personnage principal et de ses partenaires de jeu. Logique : au théâtre, on n’est jamais aussi bon que ne le permettent nos colocataires de planches. Une maxime appliquée à la lettre par José Garcia. Dans le rôle du prof/mentor, l’acteur livre une composition tout en délicatesse, et jamais prétexte à un seul en scène qui vampiriserait le centre de l’attention.

Décidément, cette édition de l’Arras Film s’avère généreuse en films tournant le dos aux numéros de solistes pour privilégier les symphonies d’orchestre.

Rédacteur LeMagduCiné