FEFFS 2014 : Chien malicieux, pizza abjecte et adolescence désenchantée
Après une première journée chargée en bons films et en café, la seconde journée voyait le programme s’intensifier puisque ce n’est pas moins de cinq films que j’avais l’intention de voir. Couché à 04h et réveillé à 08h par un chien (un Jack Russel terrier comme dans The Artist) qui a décidé d’employer mon dos comme couchette, la journée s’avérait être plutôt longue. C’était sans compter la générosité des locataires de l’appartement. Café et croissants m’attendaient au réveil. Une attention particulière qui m’a permis de ne pas perdre de temps et de directement m’atteler à la rédaction des chroniques de la veille. Quelques heures plus tard, un litre de café englouti, un sandwich en coup de vent et je m’imposais un nouveau marathon de films à voir. La charmante bénévole d’hier étant admiratif de mon programme de spectateur assidu des salles obscures. Plus de neuf heures assis dans la même salle, ça forge le respect. Mais je ne le fais que pour l’amour du cinéma. Et puis, c’est gratuit. Bref. Mais après projection des films, je ne pense pas être aussi dithyrambique que la veille. Si la journée d’hier était sous le signe des vampires, celle d’aujourd’hui est sous le signe de l’adolescence désenchantée avec Westlands et White Bird, le dernier Gregg Araki
Chers lecteurs, voici la seconde chronique du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) en exclusivité pour LeMagduCine
Doc of The Dead
Réalisé par Alexandre O. Philippe (2014). Date de sortie prochainement annoncée.
Les morts-vivants ont parcouru un long chemin depuis leurs débuts au cinéma, en 1932, dans White Zombie. Doc of the Dead viendra combler les vides de vos connaissances sur cette culture quasi obsessionnelle qu’ils ont inspirée. Ce documentaire traite en profondeur de l’évolution du zombie au cinéma et dans la littérature, et de l’impact et de l’influence qu’il a eus sur la culture populaire.
Après avoir entre autres réalisé The People vs. George Lucas et The Life and Times of Paul the Psychic Octopus, tous deux présenté au FEFFS en 2010 et 2012, Alexandre O. Philippe revient avec un nouveau documentaire et s’intéresse cette fois-ci à l’impact et la place du zombie dans notre société. Le réalisateur en profite pour revenir sur un historique du mythe zombie au cinéma et peut se targuer d’un casting d’intervenants professionnels impressionnants (George A. Romero, Simon Pegg, Joss Whedon, Max Brooks, Bruce Campbell, Tom Savini, Robert Kirkman et j’en passe). Si le sujet est toujours aussi intéressant et que le propos est bien étayé, il faut reconnaître que le documentaire ne se démarque absolument pas de modèles du genre documentaire et propose une ressasse en termes de mise en scène et de fil conducteur. Il faut savoir que ce documentaire est une commande pour la télévision et que les moyens sont forcément plus limités mais bien heureusement, Alexandre O. Philippe ne s’en sort pas trop mal. Ainsi, Doc of the Dead présente une succession d’images d’archives, d’entretiens, de vidéos reportages lors de Zombie Walk et d’extraits de conférences pour nous informer sur l’impact majeur du zombie dans la culture populaire et notre société en général. Idéal pour la télévision, ce documentaire ne vaut certainement pas une sortie en salles et disons qu’il ne s’agit là qu’une rare occasion pour les français de découvrir ce reportage. A défaut de proposer une certaine audace dans la mise en scène, Doc of the Dead est un documentaire distrayant dans le sens où il apporte quelques bonnes réflexions sur notre société et notre rapport aux zombies, le tout dans une certaine bonne humeur collective. Convenu mais diablement intéressant.
Note de la rédaction : ★★★☆☆
Wetlands
Réalisé par David Wnendt (2013). Date de sortie prochainement annoncée.
Helen est une adolescente non-conformiste qui entretient une relation conflictuelle avec ses parents. Passant la plupart de son temps à traîner avec son amie Corinna, avec qui elle transgresse un tabou social après l’autre, elle utilise le sexe comme un mode de rébellion et casse la morale bourgeoise conventionnelle. Après un accident de rasage intime, Helen se retrouve à l’hôpital où il ne lui faut pas longtemps pour faire des vagues. Mais elle y rencontre Robin, un infirmier dont elle va tomber follement amoureuse…
Hier, la sélection Crossovers nous présentait A Hard Day, un polar coréen qui lorgnait le plus souvent vers l’humour noir. Avec Wetlands, l’Allemagne nous offre une vision de l’adolescence désenchantée, obsédée, fantasmée et désorientée. En janvier dernier, le film avait enflammé les spectateurs du Festival de Sundance. A Strasbourg, il sera très certainement LE film de cette journée et l’un des chocs du festival tant le film nous montre, nous suggère, nous balance à l’écran une multitude de séquences crasseuses, tabous et trashs. Le film est franchement osé, à la limite de la vulgarité mais jamais il ne tombe dans la gratuité et l’ensemble du récit n’a pour but que d’illustrer pleinement cette période de l’adolescence où l’on se cherche et où l’on doit faire face à ses démons. Adapté du roman de Charlotte Roche, véritable best-seller, Wetlands est un cinéma mal élevé, effronté qui aborde frontalement des sujets tabous et difficiles à représenter à l’écran. Rarement la sexualité aura été montrée avec aussi peu de délicatesse et autant de grossièreté. Le plus fascinant étant que l’on entre avec plaisir et culpabilité dans ce récit. Une seule séquence suffit pour évoquer l’aspect outrageant de ce film pas comme les autres. L’héroine du film conte une légende sur sa pizza favorite, celle où deux jeunes femmes ont dégusté une pizza sur laquelle quatre hommes s’étaient masturbés dessus. Ce n’est pas simplement conté, le réalisateur représente littéralement cette séquence à l’écran. Au ralenti. Sur une musique classique jusqu’à l’éjaculation des hommes, filmés en gros plan. L’ensemble des spectateurs de la salle de cinéma ne savait pas de quelle manière réagir face à cette séquence. Regards figés ou détournés et rires nerveux mais affirmé ont finalement rallié un peu tout le monde. Au-delà de cette séquence, le film évoque aussi les fractures familiales et ces lourdes conséquences sur les enfants. Pop et coloré, l’esthétisme est l’un des points forts du film, sans compter sa bande-originale rock et punk à souhait. Jamais manichéen, plutôt juste et inspiré, dopé à l’adrénaline, Wetlands est un portrait de l’adolescence sous acide et sans préservatif. Après Guerrière qui avait également beaucoup fait parler de lui, David Wnendt confirme qu’il est l’un des auteurs allemands à suivre. Une sorte de mauvais garçon qui n’a pas fini de déranger dans les chaumières. Et c’est tant mieux.
Note de la rédaction : ★★★★☆
Killers
Réalisé par Kimo Stamboel et Timo Tjahjanto (2014). Date de sortie prochainement annoncée.
Un tueur japonais et un journaliste indonésien, apprenti meurtrier, se provoquent en mettant en ligne les vidéos de leurs méfaits. La compétition peut commencer…
Projeté sur le devant de la scène internationale en 2009 avec Macabre, un premier long-métrage brut et efficace, les Mo Brothers reviennent avec ce second film, sélectionné dans la compétition internationale. Entre temps, la vivacité du cinéma indonésien a explosé avec l’impact de Gareth Edwards et de son diptyque The Raid. Ce n’est pas pour rien que Timo Tjahjanto est le petit protégé de Gareth, qu’ils ont tourné ensemble un sketch pour V/H/S 2 (assurément le meilleur du film !) et que c’est Merantau Films, la boîte de production de Gareth Edwards qui finance ce film. Et autant dire que l’on ressent l’impact de ce dernier sur certains plans et notamment les plus dynamiques. Malheureusement, les Mo Brothers sont encore loin de Gareth tant en termes de mise en scène que d’écriture. Il y avait assurément une idée à creuser sur le papier mais dès les premières minutes, on aborde difficilement le film tant le scénario est alambiqué, s’acheminant même vers le grotesque. Bancal, comportant de lourdes maladresses et rallongé à l’extrême, Killers se perd dans son écriture à force de vouloir comporter des intrigues et sous-intrigues. Les personnages sont dès lors mal-écrits car trop instable sur la longueur tandis que les motivations et la compétition, point central du film, deviennent de moins en moins lisibles. Trop ambitieux et pas assez maîtrisé, Killers perd tout sens à vouloir lier toutes ses intrigues et devient au final plus qu’improbable, nous éloignant plus que jamais des personnages du film. Sans compter une morale du film plus que discutable. Les défenseurs du film souligneront son second degré et le fait que jamais Killers ne souhaite être réaliste. Pas convaincu pour autant, tant le film montre les travers pathétiques d’être un tueur mais se prend tellement au sérieux qu’il ne sait plus comment être présenté. Trop strict pour une comédie noie, trop ridicule pour être un vrai thriller sordide. A l’inverse, on peut reconnaître la réussite formelle de la mise en scène, bien qu’en deçà de celle de Gareth Edwards. N’est pas maître qui veut. C’est beau, fluide et énergique. Je n’ose pas imaginer ce que cela aurait rendu sur un format plus abordable comme le 90min car les 140 minutes ici paraissent très longues. Les deux gars ont bien appris mais ils leur reste encore à s’améliorer et on est encore loin de la perfection esthétique de The Raid 2. Au final, le film souffre avant tout des invraisemblances et de son scénario ficelé à la va-vite. A vouloir trop faire dans l’excès, Killers nous excède et finit par lasser. Le genre de films qui continuera son parcours dans les festivals mais qu’on oubliera très rapidement. En 2015, on espère que Timo Tjahjanto sera capable de surmonter cette erreur de parcours avec sa première réalisation seule, The Night Comes for Us, toujours produite par Merantau Films et Gareth Edwards.
Note de la rédaction : ★★☆☆☆
The Canal
Réalisé par Ivan Kavanagh (2014). Date de sortie prochainement annoncée.
David, archiviste, est persuadé que sa femme le trompe. Tout empire quand il découvre un film lui apprenant que sa maison a été le théâtre de brutaux assassinats. Stressé au plus haut point, David se persuade vite que sa demeure est hantée.
Egalement en compétition officielle, la projection de The Canal a été remarqué par la présence du Jury dans la salle, à savoir son Président Monsieur Tobe Hooper, Juan Martinez Moreno (Lobos de Arga, ABC’s of Death 2) et Xavier Palud (Ils, A l’aveugle, etc.). Avant la séance, l’acteur Steve Oram est venu saluer la salle et nous a promis de nous retrouver à la fin de la projection du film.
Une salle mitigée qui oscillait entre la satisfaction et le scepticisme, The Canal laisse un peu tout le monde sur sa faim. Ivan Kavanagh nous hurle son amour pour le cinéma avec cette histoire d’archiviste qui adore La Féline et passe ses journées à décortiquer de vieilles pellicules. C’est bien, mais son film n’est qu’un exercice d’école. Trop classique, trop prévisible, trop peu impliqué. S’il se rattrape sur quelques beaux plans esthétique, Ivan nous laisse un film au rythme cruellement long, sans intensité et dont le schéma nous est déjà parvenu des dizaines de fois au cinéma. De ma propre expérience, ce film me rappelle When the Lights Went Out, un autre film de fantôme britannique sorti en 2011 qui jamais n’arrivait à nous surprendre. Si l’on n’attend qu’une ressasse du film de fantôme, il est assuré que ce film saura vous plaire. Ici, le traitement est tellement soporifique, le twist final rapidement deviné et le film semble tellement incapable de nous surprendre qu’on subit le déroulement de l’intrigue avant sa conclusion attendue. A nouveau, une belle photographie monte un peu le niveau du film mais depuis hier, ils sont nombreux les films à arborer fièrement une esthétique soignée et très léchée. The Canal ne se démarque pas plus de ses concurrents et devient par moment très aseptisé pour les plans en intérieur. Ce qu’il manque ici, c’est une profondeur du récit. Maladroit, déjà-vu et terriblement bancal, The Canal n’a pour lui que la passion de son réalisateur qui tente vainement de faire un film de fantôme qui pourrait apporter une nouveauté au genre. Même les acteurs à l’interprétation honnête, mais sans transcender, ne nous font pas oublier les tenants et aboutissants d’un scénario sage, pour ne pas dire transparent.
Et c’est dans ces conditions que Steve Oram nous a rejoints à la fin de la séance. De nombreux applaudissements s’affirmèrent dans la salle pour éviter un certain malaise pesant. Quelques questions superficielles et auquel Steve Oram ne pouvait pas vraiment répondre. « I’m not the director » nous rétorque-t-il quand on l’interroge sur la photographie du film. Déjà-vu chez Ben Wheatley où il tenait le premier rôle du plaisant Touristes, l’acteur nous confie que c’est après avoir vu ce film que Ivan Kavanagh l’a contacté pour lui offrir ce rôle de policier. Steve Oram s’attarde un peu sur ces rôles d’enquêteur qu’on lui propose sans cesse et s’exclame avec autodérision « Est-ce-que j’ai l’air d’un flic bourré ? ». Pour son personnage, l’acteur dit s’être inspiré de la série Regan (The Sweeney), une série anglaise dans les années 70 sur le milieu de la police avec son lot de corruption et de méthodes illégales. S’agissant de l’acteur, peu de questions pertinentes sont posés sur le film, ce dernier ne pouvant y répondre avec autant d’authenticité que le propre réalisateur. Avant de conclure, Steve Oram nous parle d’un de ses projets de court-métrage en cours de tournage qui s’intitule Aaaaaaaaaaaaah ! et montre des londoniens qui agissent comme des singes. Pas de dialogues, juste des comportements de primates. L’entretien touche à sa fin, les bénévoles nous attendent pour déposer notre coupon « Vote du Public ». Cinq boîtes : Très bon, bon, moyen, mauvais, très mauvais. Ça sera mauvais. A nouveau, il est amusant de voir à quel point la sélection parallèle est bien plus jouissive que les films en compétition, exception faite de A Girl Walks Home Alone at Night.
White Bird
Réalisé par Gregg Araki (2014). Sortie le 15 octobre 2014.
Kat Connors a 17 ans lorsque sa mère disparaît sans laisser de trace. Alors qu’elle découvre au même moment sa sexualité, Kat semble à peine troublée par cette absence et ne paraît pas en vouloir à son père, un homme effacé. Mais peu à peu, ses nuits peuplées de rêves vont l’affecter profondément et l’amener à s’interroger sur elle-même et sur les raisons véritables de la disparition de sa mère…
Après Wetlands en début d’après-midi, cette seconde journée au Festival s’achève sur un autre portrait, plus fin et sensible cette fois, de l’adolescence. C’est également un tableau peu flatteur d’une Amérique qui n’arrive pas à être heureux dans une société où la consommation semble reine. Présenté avant la séance comme « un réalisateur unique qui crée de vrais beaux personnages » et pose les bonnes questions sur l’adolescence, Gregg Araki revient sur le devant de la scène avec cette nouvelle chronique chaotique de l’adolescence. Onzième long métrage et quatre ans après le trip parano et apocalyptique qu’était Kaboom, Gregg Araki offre un thriller splendide qui nous rappelle par moment le American Beauty de Sam Mendes tant cette famille modèle de la société américaine n’est en fait que le reflet d’un pays avec ses névroses, ses problèmes et ses ambitions avortées. Le mystère se fait très présent avec la disparition de cette femme en proie à une jalousie. Gregg Araki reconstitue fidèlement le charme des années 80 et magnifie cette période par une bande-son toujours aussi onirique. Très formaté Sundance, Gregg Araki offre de longs et magnifiques plans et ne rend que plus élégant cet âge formidable qu’est l’adolescence, avec ses découvertes et ses déceptions. Ce travail entre le son et l’image nous renvoie le symbole d’une jeunesse idéalisante mais en perte de repères. Comme dans Wetlands. A ce jeu, Shailene Woodley est excellente et trouve là l’un de ses meilleurs rôles tandis que Eva Green confirme une nouvelle fois tout le talent qu’on lui prête. On la retrouvera également dans nos salles de cinéma à partir de mercredi dans la suite de Sin City, intitulé J‘ai tué pour elle. Christopher Meloni montre un aspect sensible et dramatique qu’on ne lui aurait jamais prêté. Gregg Araki désamorce son intrigue au profit de plusieurs petits récits et d’éléments venant apporter à chaque fois un peu plus de profondeur à une disparition qui devient de plus en plus énigmatique. En ce sens, et même si avec du recul on pouvait la deviner, le final est une vraie réussite tant sur son rebondissement que sur la manière dont il est amené. Mais le plus intéressant reste la manière dont ce personnage d’adolescente va rejeter psychologiquement la désorientation que provoque la disparition de sa mère. Sous les traits d’un bonheur superficiel, cette famille américaine explose par le biais d’un mari qui se comporte comme une lavette et ne s’affirme jamais, d’une mère avortée dans ses ambitions qui jalouse sa fille et cette adolescente mal dans sa peau qui trouve un refuge dans le sexe, notamment avec ce personnage plus âgé qui symbolise la virilité qu’elle attendait de son père. Gregg Araki offre un film véritablement poétique, juste et humain dans sa manière d’aborder l’époque, l’adolescence et l’air du temps. Le plus américain et le plus auteurisant des films de cette compétition. White Bird est un magnifique récit sur une Amérique avec ses secrets et ses névroses, le tout sublimé par l’élégance et le génie de Gregg Araki.
Note de la rédaction : ★★★★☆
Une sortie de séance onirique sous une nuit strasbourgeoise délicieuse, le temps de prendre un dernier café et il est l’heure de rentrer avant de démarrer une nouvelle journée de visionnage. Au programme demain, la projection presse d’un loup-garou cherchant du grain à un senior, peut-être ma première tarte flambée, un rendez-vous avec la peur, dérober quelques pins du festival, un Sono Sion déjanté et la projection en plein air du mythique SOS Fantôme. A demain, les momies !