Dans le film de Rungano Nyoni I Am Not a Witch, l’inhumanité de la situation est le fruit d’une telle bêtise qu’il est presque difficile de ne pas la trouver délirante. Et pourtant, la situation est d’une telle gravité que le seul fait d’en sourire donne un sentiment très perturbant. Pour reprendre la fameuse tagline de Fargo « Oserez-vous en rire? »
Synopsis : Après un incident banal survenu dans son village, une fillette de 8 ans, Shula, est accusée de sorcellerie. Après un rapide procès, elle est reconnue coupable et enfermée dans un camp de sorcières.
Au Tchad, l’image que l’on se fait des sorcières est aux antipodes du fantasme véhiculé en Occident (que l’on associe désormais volontiers à Emma Watson) car il s’agit bel et bien de créatures maléfiques, capables de voler, lire l’avenir et de bien d’autres diableries rigoureusement interdites par la loi qui prennent l’apparence de femmes faibles. D’une façon plus terre à terre, il s’agit d’un lointain héritage des traditions tribales permettant aux hommes d’asservir les femmes à un point assimilable à de l’esclavage en leur reprochant des maux purement surnaturels. C’est dans cette situation odieuse que se retrouve la jeune Shula, une fillette de 8 ans, contrainte d’être attachée et menacée d’être transformée en chèvre si elle tente de s’enfuir, suite à des accusations abracadabrantes.
Pour qui est conscient de la réalité de telles pratiques, il est difficile de rire de leur absurdité. C’est pourtant, semble-t-il, le parti-pris de Rungano Nyoni puisque le scénario de sa fable I Am Not a Witch joue constamment de ce décalage entre modernité et traditionalisme désuet, avec le caractère outrancièrement arriéré de ses personnages (en particulier dans le cas du haut fonctionnaire incarné par Henry Phiri, dont chaque réplique est véritablement cocasse) et surtout le grotesque de leurs comportements inhumainement rétrogrades. Ce ton léger, la faiblesse de l’intrigue vient l’appuyer puisqu’elle donne à l’ensemble l’allure d’une série de saynètes proches de gags. Et même si on va s’attacher à Shula au point de trouver les dernières minutes déchirantes, le ressenti à la sortie du film est celui d’un profond malaise à l’idée d’avoir entendu (et sans doute d’avoir alimenté) des rires dans la salle devant ces femmes traitées comme des animaux. On préférera penser qu’il s’agit là moins d’un réel mauvais goût que d’une pure maladresse de la part de la réalisatrice qui nous prouve pourtant sa bonne volonté à l’occasion de son premier long-métrage. Est-il également perçu ainsi en Afrique subsaharienne ou est-ce là-bas une comédie décomplexée dont seule notre culpabilité postcoloniale d’Européens nous empêche de pleinement profiter ? La question mérite d’être approfondie, mais il reste certain que Rungano Nyoni est un nom à noter car elle pourrait vite refaire parler d’elle.
Pure coïncidence, au même moment, les « Séances spéciales » de la Sélection officielle nous faisaient découvrir un long-métrage qui traite également de la privation de liberté mais dans une approche radicalement antithétique. 12 Jours de Raymond Depardon est en effet un documentaire sur les procédures judiciaires entourant des personnages incarcérés en hôpital psychiatrique. Non pas que leur situation soit comparable à celle des prétendues sorcières tchadiennes, mais le dispositif cinématographique est à mettre en parallèle, car ici tout est fait (plans d’extérieurs brumeux et musique larmoyante signée Alexandre Desplat) pour nous empêcher d’émettre le moindre rire devant les scènes dans lesquelles les malades font preuve de propos incohérents. Cette démarche qui fleure l’apitoiement est-elle plus pertinente que le décalage sarcastique de I Am Not a Witch pour dénoncer le mal-être de ceux qui subissent ces situations ? Le Festival de Cannes est aussi l’occasion de s’interroger sur de tels choix artistiques et moraux.
[COMPÉTITION OFFICIELLE] I Am Not a Witch
Un film de Rungano Nyoni
Avec Maggie Mulubwa, Henry B.J. Phiri, Travers Merrill
Distributeur : –
Durée : 1h30
Genre : Drame
Date de sortie : Prochainement
Royaume- Uni, France – 2017
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