ARRAS FILM FESTIVAL – Jour 1
Après une riche première journée de festival, un retour – ici textuel – s’impose. Trois projections presse, une rencontre, et le lancement public du festival ce soir : « bienvenue à Jurassic »… Euh, non, au Arras Film Festival, édition 2015 !
Le Grand Jeu de Nicolas Parisier, entre promesses de nouveauté et hommage au genre : 2/5
Sortie programmée le 16 Décembre 2015.
10h30, rendez-vous en salle 6 du Cinémovida d’Arras pour découvrir Le Grand Jeu, premier film du réalisateur Nicolas Parisier. Synopsis : Pierre Blum – incarné par Melvil Poupaud –, un écrivain de quarante ans qui a connu son heure de gloire au début des années 2000, rencontre, un soir, sur la terrasse d’un casino, un homme mystérieux, Joseph Paskin – joué par André Dussollier. Influent dans le monde politique, charismatique, manipulateur, il passe bientôt à Pierre une commande étrange qui le replongera dans un passé qu’il aurait préféré oublier et mettra sa vie en danger. Au milieu de ce tumulte, Pierre tombe amoureux de Laura – à l’écran incarnée par Clémence Poésy –, une jeune militante d’extrême gauche ; mais dans un monde où tout semble à double fond, à qui peut-on se fier ?
Si la synopsis vous paraît complexe, le film ne l’est pas du tout. En effet, le tout est très limpide, malgré la tendance à l’abstraction et au mystère du film. Aussi, si vous connaissez le genre du film politique mis en place et rendu célèbre par des films tels que Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976) et plus récemment The Ghost Writer (Roman Polanski, 2010), sachez que vous découvrirez rien de nouveau. Car à ce dernier, Le Grand Jeu empreinte tout ou presque. Du personnage écrivain nègre pénétrant au milieu de la politique à la mort d’un des personnages secondaires, citation au plan près de la mort du personnage d’Ewan McGreggor dans le film de Polanski, Le Grand Jeu, plus ou moins correctement réalisé (on repense la séquence de poursuite un peu ridicule), semble tendre au film hommage au genre, plutôt qu’à un film nouveau.
Et pourtant, le film nous fait découvrir un peu plus le système de communauté alternative de l’extrême gauche en en filmant un groupe. Cette découverte se fait à travers la relation amoureuse de Pierre et Laura, relation vite amenée mais plutôt bien maîtrisée. Notons toutefois que l’idée des groupes d’extrême gauche peut aussi être trouvée chez le politicien du Ghost Writer incarné par Pierce Brosnan. Mais il faut être sincère, si le personnage incarné par Melvil Poupaud est relativement intéressant – on notera le cliché de l’artiste obscur et nihiliste qui trouve une chemise dans un carton, en regarde la couleur, la renifle, puis l’enfile –, la performance de l’acteur le neutralise tant elle semble artificielle : peut-être est-ce encore un hommage, cette fois-ci aux détectives d’Hammett et Chandler incarnés à l’écran par Humphray Bogart dans The Maltese Falcon (John Huston, 1941) et The Big Sleep (Howard Hawks, 1946) ? Le problème du jeu de l’acteur est bien plus visible lorsque Dussollier partage l’écran avec lui. En effet, comme à son habitude, l’acteur est excellent, d’un naturel fou, moins juste que dans le formidable Diplomatie (Volker Schlöndorff, 2014), mais tout de même à un tel point qu’il semble sûr que sans sa présence, Le Grand Jeu aurait été un mauvais film de cinéma, mais possiblement un film honnête de télévision.
https://www.youtube.com/watch?v=kiAd5wgAfQ8
La Fille du Patron d’Olivier Loustau, romance type, surprise et libération des corps : 3,75/5
Sortie en salles le 6 Janvier 2016.
14h, après un agréable déjeuner entre collègues de la presse, offert par la très efficace, ingénieuse et enthousiaste association Plan-Séquence, arrive la deuxième projection presse de la journée avec La Fille du Patron. La synopsis : Vital – incarné par le réalisateur du film, Olivier Loustau –, 40 ans, travaille comme chef d’atelier dans une usine textile. Il est choisi comme « cobaye » par Alix, 25 ans, venue réaliser une étude ergonomique dans l’entreprise de son père sous couvert d’anonymat. La fille du patron est rapidement sous le charme de cet ouvrier réservé et secret qui s’ouvre peu à peu à son contact et se met à rêver d’une autre vie…
À la lecture de ce texte, on pourrait penser à un nouvel éternel film d’amour ou de comédie dramatique au personnage principal sombre, perdu entre son ancienne vie (et sa femme) et la possibilité d’une nouvelle avec Alix – jouée par Christa Théret –, avec pendant le film, la découverte de sa trahison maritale, puis un final occupé par un choix Cornélien. Eh bien non, le film déjoue ces schémas narratifs très vite : le mari parle rapidement à sa femme de l’absence de bonheur qui noircit le couple, la femme est d’accord, il la trompe, elle est au courant, il assume pleinement son action fidèle à son idée et la quitte. Le film se concentre ensuite sur le couple de Vital et d’Alix intéressant au niveau du physique même si, ne nous trompons pas, il s’agit à nouveau de l’histoire du paysan – un tant soi peu unique en son genre (ici un ouvrier taciturne) – amoureux de la noble (jeune) femme (dans le film, prometteuse étudiante fille de patron). Le récit d’Olivier Loustau lui offre tout de même un certain rafraichissement, avec une fin à la fois douce, joyeuse, sensée, humaine, tournée vers l’avenir, vidée du mélo traditionnel de ces histoires.
S’ajoute à cela une autre force du film : la réalisation. On ne peut s’empêcher de penser à Cassavetes devant les images de la Fille du Patron. En effet, comme chez le réalisateur de A Woman Under The Influence (1974) ou Faces (1968), les personnages tendent, dans leur élan de liberté, à sortir du cadre. Cadre multiple pour Vital : l’espace professionnel au travail à la chaine asservissant et blessant ; l’espace familial dont le mariage ne marche plus ; l’espace sportif où les joueurs performent aux couleurs d’une entreprise et de sponsors pour des enjeux autres que le pur plaisir du sport. De même pour Alix qui désire sortir de ses carcans de petite fille embourgeoisée et dont l’avenir semble déjà tracé dans l’esprit du père : épouser un homme d’un milieu aisé, etc.
Ainsi au fur et à mesure des libérations des personnages, les corps se libèrent du cadre de la caméra, et progressent dans le champ/hors-champ de la caméra à leur guise, alors aussi libérés du diktat de la caméra et du cinéma.
Tempête de Samuel Collardey, une famille pour un choc cinématographique : 5/5
Sortie en salles programmée le 24 Février 2016.
À peine sorti de la salle numéro 6 que l’on y revient pour la séance de 16h avec le film Tempête de Samuel Collardey. Cette troisième projection fut la meilleure de la journée, et restera certainement l’une des plus fortes du festival et de notre expérience de spectateur tant Tempête est une grande réussite (surprise) cinématographique. Tant le film est riche, il s’agira de se concentrer sur certains points. Mais d’abord, la synopsis : Dom, 36 ans, est matelot à bord du Alf, un bateau de pêche du port des Sables d’Olonne qui fait des campagnes de trois semaines en haute mer. Depuis son divorce, il y a un an, sa fille Mailys et son fils Matteo ont préféré habiter avec lui malgré ses absences. Quand Mailys tombe enceinte, Dom comprend qu’il doit choisir…
Si à la lecture du synopsis, on aurait pu s’attendre un mélodrame empli de sanglots, Tempête est tout son contraire. Les personnages du film n’en sont pas vraiment, et les acteurs non plus d’ailleurs. En effet, les « personnages » sont trois personnes réelles. Ce sont donc leurs véritables prénoms et noms que vous pouvez lire dans le synopsis et dans le générique, puisque la majorité du casting du film est composée d’acteurs « amateurs », terme qui n’est pas à comprendre négativement, mais qui signifie juste que ces comédiens n’en étaient pas avant le tournage. Leurs moments de joie, de malheur, ou d’autres d’effort ou de magnificence sont ainsi transcendés par leur humanité pure et brute. Cependant une question s’impose : jusqu’à quel niveau le film est-il scénarisé et mis en scène dans ses dramas (actions) ? Posée autrement : jusqu’où Tempête est-il un documentaire / une fiction ?
En effet, le statut des images est troublant, ambigu, tant d’une part, elles sont magnifiques et « parfaitement » cadrées, et d’une autre, prises sur le vif. Des éléments de réponse pourront possiblement être obtenus lors de la rencontre avec le réalisateur et le trio familial pendant le festival. Mais, a-t-on véritablement besoin de savoir ? Grâce au réel des « personnages », filmer un bateau et tous les gestes du marin est d’un passionnant rarement atteint auparavant au cinéma. On y trouve la même force cinématographique que dans les films de David Ayer (End of Watch, 2012 ; Fury, 2014), réalisateur hyper-attentif au geste, au corps, au physique habitué aux techniques. Ainsi on arriverait à presque en regretter de ne pas avoir plus d’images du protagoniste en mer. Mais rassurez-vous, ceci n’est qu’un regret personnel et non un défaut du formidable Tempête.
POINT PRESSE : rencontre avec Nicolas Parisier.
Il est 19h00 et il nous faut accourir à l’espace VIP du « village » du Festival pour la rencontre avec le réalisateur du Grand Jeu. S’en suit les différents points abordés pendant l’interview.
Quelles ont été les étapes de fabrication de son premier long métrage ?
Nicolas Parisier fut d’abord étudiant de cinéma en faculté, puis professeur. Il connaît pendant une certaine période le métier du journalisme, pour ensuite travailler chez Pathé Productions. Il réalisa trois courts métrages en huit ans, puis enfin son long métrage.
Sur les références aux affaires Robert Boulin et Tarnac…
Le film les raconte un tout petit peu, explique le réalisateur. La deuxième est plus une évocation. La première l’a bien sûr inspiré. C’est un film qui parle à la fois de la politique – de l’envers du décor – et des militants d’extrême gauche. Ce sont des sujets qui l’intéressent, car très romanesques, très biens pour faire un film.
Concernant les dialogues importants au sein du film, comment a-t-il fait pour que le long métrage n’en soit pas paralysé ?
Nicolas Parisier explique avoir acquis cette expérience du dialogue grâce à ses courts métrages. Aussi la réussite dépend d’un élément conséquent, l’acteur.
Et alors, la question de votre humble serviteur :
Votre film s’inscrit dans un sous-genre, voire même un genre cinématographique, le film politique, est-ce que vous vous êtes inspiré d’autres de ces films ? Je pense notamment à The Ghost Writer dont vous avez repris plusieurs éléments ?
Il sourit, puis explique qu’il a commencé à écrire le scénario du film après avoir lu Sous les yeux de l’Occident de Joseph Conrad (1911), puis il a vu The Ghost Writer. Il aime beaucoup ce film qu’il décrit être d’une grande qualité, et il explique qu’après l’avoir vu, il ne pouvait pas faire comme s’il n’existait pas. Et vu que c’est arrivé en pleine écriture, il a voulu lui rendre hommage. Il avance sur un hommage subtil dans une scène. Votre serviteur explique alors la scène, celle de la mort d’un personnage / de McGreggor : l’individu a un journal – un manuscrit dans le film de Polanski –, il traverse la route et se fait renverser en hors-champ, tandis que les pages s’envolent dans le champ.
Sur l’histoire du film
C’est l’histoire d’un complot – organisé par l’antagoniste interprété par André Dussollier – qui échoue, et qui emporte alors plusieurs personnages.
Sur l’importance des seconds rôles
Il fallait une distribution qui tienne la route, dit-il. Il s’agissait de construire un tableau par petites touches.
Sur le choix de Melvil Poupaud
Parce qu’on le connaît sans vraiment le connaître, à l’image du personnage qu’il incarne dans le film.
Pensez-vous que le propos du film aura un écho ? Ou alors comme le pense André Dussollier, votre pensée, votre constat de la France et notamment de sa politique sera-t-il immergé dans la masse ?
Il n’y a pas de vision fermée, ce n’est pas un film qui a une thèse. Il espère qu’il y a une certaine ambiguïté, une certaine complexité qui ferait que le discours ne serait pas univoque.
Enfin la journée toucha à sa fin avec la soirée d’ouverture, occupée par la présentation rapide et efficace du riche programme du festival ainsi que de la projection publique (et donc en avant-première) du Grand Jeu. On aurait espérer savoir Tempête en film d’ouverture, ou du moins, La Fille du Patron. Sur ce, le retour de cette première journée touche à sa fin, laissant aussi entrevoir des journées de festival aussi intéressantes et intenses, voire plus.