Rester Vertical de Alain Guiraudie : un film (trop ?) Guiraudien, les corps et leurs échanges, l’absurdité, le jeu, le radicalisme et le(s) cinéma(s)
Synopsis : Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu’il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va puis, revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C’est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C’est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.
Alain Guiraudie avait épaté la croisette avec son Inconnu du Lac l’année dernière. Aujourd’hui, la division est au rendez-vous. Si l’on a entendu des mots violents et doux sur le film, on a aussi écouté certains collègues parler de film génialement Guiraudien, et on ne pourrait leur donner tort. On retrouve dans le film ses thèmes : son rapport au corps (humain), à la nature et par extension à l’animal, ses personnages LGBT sans tabous ou presque, son humour absurde… Le problème de Rester Vertical est qu’il n’est que trop Guiraudien, un cru radical du réalisateur-scénariste. Si l’on pouvait s’attendre à des scènes de sexe brutes, montrées telles quelles, d’une manière très réaliste, on en retrouve ici. Cependant son travail tend à l’extrémisation qui l’amène hors des sentiers battus du saint réalisme cinématographique. En effet, la séquence de l’accouchement n’est pas réaliste en termes de visuel. Le gros plan ou plan très serré sur le vagin s’écartant avec le bébé tiré par la sage femme tandis qu’en poussant la femme voit son rectum se vider de matière fécale, est tourné sur un certain axe et dans une lumière employée parmi les ténèbres environnantes. Cette absence d’éclairage général, comme si la mère accouchait de nuit en plein champ ou dans un lieu vidé de lumière, nous amène non pas à la « Réalité » (telle qu’une spectatrice l’a dit), mais à un certain point de vue d’un événement bien réel, ici mis en scène et capté, filmé d’une manière et pas d’une autre. La séquence n’est donc pas l’expérience de l’accouchement vécue par la mère ou par une sage-femme, mais une sorte de travail de la chair et des flux corporels dignes de The Thing (1982) et Alien (1979), en moins extraterrestre et en plus humain. Parfois, certains extrêmes sont probablement des accidents : le jeu très particulier de l’acteur incarnant Léo, Damien Bonnard, est en totale contradiction avec celui très mesuré, en retenue, juste et humain d’India Hair qui interprète Marie. Si l’absurdité et le rocambolesque constituent certaines situations des personnages, ils n’en sont pas moins justes. On pense au vieillard, ou encore au fermier, homosexuel refoulé. On note un autre extrême : le surjeu du personnage du gay androgyne nommé Yoan. De même, le récit avancera parfois de manière complètement absurde – ici employé dans le mauvais sens du terme –, avec l’arrivée d’événements surprenants et incohérents, inadéquats et déroutants, bousculant l’intrigue pour on ne sait quelle raison. On pense notamment à l’arrivée du patron au lieu de soin naturel, isolé et mystérieux où se rend souvent Léo en barque.
Plusieurs interrogations surviennent : pourquoi le film est si paradoxal et incohérent dans certains choix artistiques ? Se voulait-il au-delà du baroque ? S’il y a de bons éléments, très intéressants à noter sur ce film : le corps de la montagne, les loups ou physiques animaliers, les corps humains dans cet espace et dans les lieux artificiels, le jeu des regards et des images, la plongée du protagoniste principal dans une sorte d’enfer lié à la chair, alors qu’il avance dans une nature silencieuse et quasi-mystique, entre autres.
Une question est survenue pendant la séance et bien après : un film génialement Guiraudien est-il un bon film de cinéma ?
Enfin un petit cri d’exaspération : exposer la complexité des corps (la peau, les liquides, les membranes, et cetera) dans leur nudité de manière brute(-ale) et directe n’est pas un signe de courage et d’audace. Et y voir de la hardiesse, c’est peut-être chercher le scandale cinématographique cannois de l’année, soit adhérer à un rituel festivalier du buzz, moins qu’à une logique purement filmique.
Rester Vertical un film de Alain Guiraudie
Avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry, Christian Bouillette, Basile Meilleurat, Laure Calamy, Sébastien Novac
Distribution : Les Films du Losange
Durée : 100 minutes
Genre : Drame
Date de sortie : 24 Août 2016
France – 2016
Rester Vertical : Extrait