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Transparent : la révolution du genre en série

Chloé Margueritte Reporter LeMagduCiné

Transparent est une série passionnante et touchante sur une famille hybride. Jill Soloway y aborde le transgenre à travers une figure paternelle en pleine transition. La série ne se contente pas de mettre au centre de son scénario un personnage transgenre, mais elle tente de combattre, non sans humour, un grand nombre de préjugés. Les personnages y sont aussi adorables que détestables (parce que névrosés, autocentrés) et l’individu tente coûte que coûte d’exister au sein de l’entité qu’est la famille, aussi écrasante soit-elle. Retour sur les cinq saisons pour notre cycle sur les séries LGBT.

« Pardonnez-moi »

Ce cri poussé par Maïwenn dans son tout premier film (Pardonnez-moi, 2006) pourrait à lui seul résumer ce récit sur une famille éclatée et pourtant régulièrement réunie épisode après épisode. Chacun a l’espace pour s’exprimer, se tromper, recommencer. Malgré les apparences, les différents membres de la famille se soutiennent autant qu’ils souffrent du comportement de l’autre. Toujours prêts à se balancer leurs quatre vérités à la figure, ils sont avant tout des personnages en quête d’une identité impossible à trouver tant elle est mouvante. Ils sont tous juifs (l’identité religieuse et le passé douloureux ont leur importance dans la construction de chacun), mais aussi gays, lesbiennes, bisexuels, transgenres, hétéros, amoureux, destructeurs, passionnés, parents, enfants. Leurs destins sont loin d’être tout tracés et c’est cela que capte le mieux la caméra de la productrice, créatrice et scénariste de la série (dont les épisodes sont réalisées par différentes femmes au fil des saisons), Jill Soloway. Elle n’en n’est pas à sa première famille délirante puisqu’elle a été scénariste pendant quatre ans de la série Six Feet Under (qui raconte le quotidien d’une famille névrosée de… croques-morts !). Pourtant, ici, il est souvent question de lumière. La maison familiale est ouverte à cet éclat lumineux. Les états d’âme des différents protagonistes nous sont livrés dans une lumière extrêmement travaillée, enveloppante, une musique qui devient peu à peu familière et nous entraîne avec eux. Chaque épisode dure une demi-heure, le temps est court mais est pourtant assez long pour laisser à chacun l’espace pour péter un plomb et tenter de se remettre d’aplombLa norme est ici oubliée et ça n’est pas pour nous déplaire. Tout peut être assez vite remis en cause, l’évolution des personnage étant parsemée de surprises et de cycles (on pense notamment à Ali, la plus jeune sœur, et à son incapacité à s’engager dans le rapport amoureux).

Qui suis-je ?

La série est remplie de questionnements sur l’identité, l’amour, l’égoïsme et l’autre, cet enfer moins pesant que soi-même. On y suit avant tout, récit semi-autobiographique pour Jill Soloway (puisqu’elle raconte en partie le coming-out de son père), la transition de Mort en Maura. Le personnage du père annonce en effet à ses enfants Josh, Ali et Sarah qu’il s’est toujours senti femme (l’épisode 8 de la saison 3 revient sur l’enfance du père) et qu’il le sera désormais au grand jour. La nouvelle fait l’effet d’un raz-de-marée dans la fratrie qui pensait plutôt à l’annonce d’un cancer. La mère, séparée de Maura, est bien moins surprise, puisqu’elle connaissait déjà les désirs de son ex-compagnon. Le lien entre eux est fort et de plus en plus exploré au fil des saisons. Ils sont loin d’être devenus des étrangers l’un pour l’autre et l’échec de leurs relations respectives le prouve très bien. La série est construite autour d’une mise en scène de soi par des personnages perdus dans leurs baskets, jamais tout à fait sûrs d’eux. De plus, ils endossent des étiquettes qu’ils ne veulent pas toujours porter. Chaque épisode les confronte donc à cet enfermement identitaire dont ils veulent absolument sortir. Le quotidien n’existe pour ainsi dire pas chez les Pfefferman, au sens où rien n’y est banal, habituel. Il y a toujours un spectacle à voir, l’emprise du passé étant très forte. De nombreux épisodes mêlent en effet passé et présent, expliquant les gestes d’aujourd’hui par les blessures d’hier. Cela offre une certaine mélancolie à une série souvent très juste, touchante. Le décalage des personnages avec le monde que l’on a l’habitude de voir dépeint à la télévision, est passionnant. Leurs réactions extrêmes sont souvent drôles, même si elles cachent des petits et grands drames de l’existence.

De l’amour et de l’humour

La question de la croyance, de la foi y est également abordée. Que ce soit à travers les nombreuses traditions juives qui nous sont montrées, un personnage féminin de rabbin a d’ailleurs une place importante dans la série, ou à travers d’autres religions observées de loin. On y interroge fortement la croyance, mais elle est aussi synonyme de rassemblement, de paix (même si la guerre familiale ou amoureuse n’est jamais bien loin). Il faut bien le dire, les traditions sont souvent détournées, utilisées à des fins personnelles et non toujours purement religieuses. À chaque instant, un membre de la famille est un soutien pour l’autre avant de flancher à son tour. On y prône la liberté de choisir, de ne pas prétendre être ce qu’on ne veut pas être (voir pour cela le dernier épisode de la saison 3). La société reçoit ces différents personnages, leurs questionnements et leurs revendications en pleine figure. Car Ali s’interroge dans des travaux universitaires, Josh explore la musique, la mort, la filiation et Sarah les limites de sa féminité, de son désir et du rapport sexuel. Toutes les familles y ont leur place, même les plus barrées. Le déséquilibre est la nouvelle norme.

La saison 1 explore ainsi avec force l’effet de la transition paternelle sur la famille, sans oublier de suivre Maura et ses pérégrinations. La saison 2, passée l’onde de choc, est davantage centrée sur l’identité, questionnée à travers sa construction. Le féminisme n’est jamais loin, sans que les personnages masculins ne soient en reste. Car les protagonistes ne sont pas forcément filmés et racontés parce qu’ils sont des hommes ou des femmes. Quant à la saison 3, davantage ancrée dans le présent, le rassemblement, le deuil et la nécessité de faire accoucher la vérité, elle est une bouée lancée au choix d’un avenir sans entraves. La saison 4, entraîne la famille encore plus loin, le personnage d’Ali faisant des choix qui l’en éloignent avant d’inexorablement revenir à elle, la question du « qui suis-je » étant plus que jamais au cœur des questionnements, Israël au centre des réponses, peut-être. Quant à la saison 5, en un seul et unique épisode, elle est une clôture à la hauteur de la série, mêlant, comme souvent, humour et mort, avec une grande délicatesse. Pourtant, la série ne cesse de nous dire que faire le choix d’une liberté assumée, presque égoïste, conduit à d’autres entraves (psychologiques le plus souvent, quasi inconscientes). Peut-être qu’au fond le seul ennemi qui nous domine jusqu’au bout, c’est soi-même. C’est déjà le difficile apprentissage que faisait Natalie Portman dans Black Swan : « ta seule ennemie, c’est toi », finissait-elle par entendre avant de sombrer. La force de Transparent est d’offrir à chaque fois à ses personnages une main tendue pour se relever. La narration prend ainsi parfois le temps de se suspendre pour suivre plus spécifiquement un personnage, un moment de son existence qui revêt une grande importance. Parfois, même un événement a priori insignifiant s’étale sur une demi-heure et prend peu à peu son sens dans le parcours d’un personnage.

Il ne sera pas vain de noter en conclusion que la réalisation et le rythme sont impeccables, savant dosage entre humour et douceur. Le tout est porté par des acteurs fabuleux. Jeffrey Tambor particulièrement, qui joue la transition sans jamais en faire trop, mais en donnant beaucoup. Quant aux enfants Pfefferman, ils sont joliment incarnés par Gaby Hoffmann, Jay Duplass et Amy Landecker. Cette famille d’indestructibles (à l’image de leur tortue qui a survécu trente ans dans un conduit d’aération), ne serait rien sans leur mère un brin fêlée et artiste portée par Judith Light. Cette dernière interprète en fin de saison 3, une chanson qui à elle seule résume toutes les formidables contradictions de l’être humain (dont la série a fait sa marque de fabrique).

Transparent : Fiche Technique

Synopsis : Un père réunit ses enfants, Ali, Joshua et Sarah, pour parler de l’avenir. Pensant en premier lieu qu’il serait question d’héritage, tous les trois sont surpris d’apprendre qu’il s’agit en fait d’une révélation qui risque de bouleverser leur vie : il a décidé de changer de sexe !

Créatrice : Jill Soloway
Interprètes : Jeffrey Tambor (Mort/Maura), Gaby Hoffmann (Ali), Jay Duplass (Josh), Amy Landecker (Sarah), Judith Light (Shelly), Alex MacNicoll (Colton), Carrie Browstein (saisons 1 et 2, Syd), Kathryn Hahn (Raquel), Cherry Jones (Leslie), Rob Huebel (Len)…
Scénaristes (toutes saisons confondues) :  Jill Soloway,  Bridget Bedard,  Micah Fitzerman-Blue, Noah Harpster , Ali Liebegott, Faith Soloway, Ethan Kuperberg, Jessie Klein, Stephanie Kornick
Réalisation (toutes saisons confondues) : Jill Soloway, Silas Howard,  Andrea Arnold, Marta Cunningham, Shira Piven, So Yong Kim, Stacie Passon, Nisha Ganatra
Producteurs : Victor Hsu, Jill Soloway
Sociétés de Production : Amazon Studios
Récompenses : Emmy Award du Meilleur Acteur dans une Série Comique pour Jeffrey Tambor (2015), Golden Globe 2015  Meilleure série comique ou musicale et meilleur acteur pour Jeffrey Tambor.
Durée d’un épisode : 30 minutes
Nombre d’épisodes par saison : 10
Nombre de saisons : 5

Etats-Unis – 2014

Reporter LeMagduCiné