La Conspiration du Caire : James Bond au pays des pharaons

Berenice Thevenet Rédactrice LeMagduCiné

Cinq ans après Le Caire confidentiel, petite bombe cinématographique qui jetait une soufflante sur la corruption en Egypte, Tarik Saleh récidive avec La Conspiration du Caire. Récompensée du Prix du Scénario, lors du dernier Festival de Cannes, l’œuvre casse les codes et redore le blason du film d’espionnage. L’occasion, pour nous, de découvrir l’œuvre la plus kafkaïenne de la Croisette.

Synopsis : Alors qu’il vient d’être sélectionné dans la prestigieuse Université d’al Azhar, Adam se retrouve imbriqué dans une sombre affaire de corruption.

Les sentiers de la gloire

Tarik Saleh est un réalisateur qui ne craint pas de faire de la politique un fer de lance cinématographique. Si son nom ne vous dit probablement rien aujourd’hui, la sortie prochaine de son nouveau film, La Conspiration du Caire, devrait définitivement vous le rendre familier.

D’origine égyptienne, mais de nationalité suédoise, Tarik Saleh est ce qu’on appelle un touche à tout. Avant d’endosser la prestigieuse casquette de réalisateur, ce dernier a d’abord œuvré dans différents univers artistiques. S’il peut se targuer d’être l’un des plus anciens graffeurs du monde, il s’est également illustré dans le milieu littéraire. Son magazine documentaire Alive in Cairo, Egypt 1995 fait date et l’emmène, six ans plus tard, à publier la revue Atlas. Cette attention portée vers le monde extérieur devait tout naturellement le mener vers le septième art. Tarik Saleh est un producteur averti de films documentaires, interrogeant tour à tour les circonstances mystérieuses de la mort de Che Guevara (Sacrifio : who betrayed Che Guevarra ?, 2001) ou offrant un portrait sans concession des conditions de détention à Guantanamo (Gitmo : The New Rules of War, 2005). 2009 marque un tournant dans la carrière fulgurante de cet artiste caméléon. Cette année-là, Tarik Saleh sort sa première œuvre de fiction en tant que réalisateur, Metropia. Sélectionné dans plus de 65 festivals de cinéma, parmi lesquels se trouve le prestigieux Tribeca, le film rafle plusieurs dizaines de récompenses. Le plébiscite critique ne lâchera plus jamais le réalisateur. Pas moins de huit ans plus tard, son deuxième long-métrage Le Caire confidentiel, est primé à Sundance.

Tarik Saleh fait partie de ces artistes dont l’ascension paraît aussi incroyable que fulgurante. Le cinéaste fait aujourd’hui partie du club très fermé des cinéastes passés par la Sélection Officielle. La Conspiration du Caire entérine le talent de son auteur. Son triomphe prouve que Cannes, haut lieu de respectabilité souvent critiqué en vertu de son establishment généralisé, sait aussi récompenser, à juste titre, des œuvres politiques et engagées. Le réalisateur s’inscrit dans la droite lignée de son précédent film. Cette fois, ce n’est pas à la corruption et au clientélisme de la police qu’il s’attaque mais à l’instrumentalisation de la connaissance. Si le cinéaste déplace son curseur dans le milieu universitaire cairote, l’objectif reste, fondamentalement, le même : celui de dénoncer la corruption généralisée qui règne en Egypte.

Le Caire : nid d’espions

Pour ce faire, le cinéaste choisit de planter sa caméra dans la prestigieuse Université al-Azhar. Cette institution islamique d’enseignement possède une renommée qui dépasse très largement les frontières égyptiennes. Ce choix peut étonner. Il ne doit pourtant rien au hasard. Le ton est en effet donné avant même que le film ne commence. L’indépendance totale de la faculté attire les convoitises d’un Etat égyptien désireux de mettre fin à son autonomie ancestrale. Ce dernier croit (enfin) pouvoir atteindre son but lorsque décède le Grand Imam.

Puisqu’il faut nécessairement le remplacer, à charge pour l’inspecteur Ibrahim (Fares Fares) de trouver le pigeon idéal qui aidera à la réussite du candidat fantôme (dépêché par le gouvernement). L’oiseau naïf en question se nomme Adam (Tawfeek Barhom). Le jeune homme ne se doute pas qu’en arrivant au Caire, il se jette dans la gueule du loup. Fils d’un pêcheur sans le sou, débarqué de sa province reculée, Adam incarne une innocence foulée du pied par un système politico-judiciaire peu enclin à respecter une légalité (qu’il a lui-même instauré).

La Conspiration du Caire ne cesse de filer la métaphore biblique. Adam croit débarquer au jardin d’Eden de la connaissance. Celui-ci comprend bientôt que céder à la tentation du fruit défendu est jalousement gardé par un petit cercle d’initiés. « Connaître est un pouvoir qui peut vous couper la main » dit le Général Al Sakran (Mohammed Bakri). Il faudrait rectifier. Georges Orwell affirmait, dans La Ferme des Animaux, que « si tous les hommes sont égaux, certains le sont plus que d’autres ». Tarik Saleh ajoute, quant à lui, que : « si la connaissance est être l’affaire de tous les hommes, certains l’instrumentalisent plus que d’autres ». Il s’en donne même à cœur joie. Ce dernier dénonce, en effet, avec force l’utilisation politique de la religion, instrumentalisée à des fins plus idéologiques que pédagogiques.

Sous le pavé cairote, l’espoir ?

Imaginez-vous un film qui mêlerait film d’espionnage et roman d’apprentissage. Vous aurez alors une idée de La Conspiration du Caire. Adam découvre le monde. Et cela n’est pas beau à voir. Le film frôle sciemment avec la caricature ampoulée. Il y a ces politiciens véreux prêts à tout pour conserver (et s’arroger) les pleins pouvoirs. Ces fonctionnaires zélés, pris dans une logique jusqu’au boutiste, avides des caresses du président.

Pourtant, dans cet océan de consternation, surnage la possibilité d’une île. Le Sheikh Negm (Makram Khoudry) apparaît, dans le film, comme la voix de la sagesse. Tel Saint Antoine, le personnage résiste à la tentation du mensonge, préférant, de loin, la mort physique à la pestilence de la corruption morale. Même chose pour l’inspecteur qui refuse de céder aux sirènes de la facilité.

N’est pas Abraham qui veut. Adam, ce nouvel Isaac, est sauvé. Les règles du jeu ont changées. Ce n’est pas une revanche des gentils sur les méchants. Que cette lecture métaphorique ne trompe personne. La Conspiration du Caire n’est pas une œuvre stupidement manichéenne. Tarik Saleh connaît suffisamment son sujet pour s’éviter l’écueil du jugement de valeur démoralisant. S’il montre volontiers le chaos qui règne dans la société égyptienne, il en révèle aussi la beauté sous-jacente. Ecumant les interstices laissés vacants, celle-ci déroute nos certitudes, bouscule nos a priori, rendant obsolète tout découpage binaire entre les « bons » et les « méchants ». « Sous le pavé, la plage » scandait les étudiants en mai 68. Sous le pavot étouffant, l’espoir rôde diraient les étudiants d’Al Azhar.

Bande-annonce – La Conspiration du Caire

Fiche technique – La Conspiration du Caire

Réalisation et scénario : Tarik Saleh
Interprétation : Tawfeek Barhom (Adam), Fares Fares (Ibrahim), Mehdi Dehbi (Zizo), Mohammad Bakri (le général Al Sakran), Makram Khoury (Sheikh Negm)
Montage : Theis Schmidt
Production : Kristina Åberg et Fredrik Zander
Sociétés de production : Atmo Production ; Film i Väst, Final Cut for Real, Memento Films, Oy Bufo Ab et Sveriges Television (SVT) (coproductions)
Pays : Suède
Genre : thriller, drame
Durée : 2h
Sortie : 26 octobre 2022

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