Ayant provoqué l’ire de pas mal de festivaliers, sans doute déçu de voir un thriller aux transgressions formelles et artistiques peu originales se frayer une place parmi l’élite de la compétition cannoise, Captives d’Atom Egoyan arrive finalement sur nos écrans, non sans être accompagné d’une odeur de soufre caractéristique, issue sans surprise de l’exaspération de journalistes, consternés des habitudes coutumières de dirigeants cannois raillés de toute part, pour leur refus systématique d’oser la diversité en proposant une pluralité de candidats identiques à chaque montée des marches annuelles.
Captives : Un thriller nordique glacial et captivant !
Synopsis: Huit ans après la disparition de Cassandra, quelques indices troublants semblent indiquer qu’elle est toujours vivante. La police, ses parents et Cassandra elle-même, vont essayer d’élucider le mystère de sa disparition.
C’est un fait, mais Thierry Frémaud et consorts, aiment le spectacle et le glamour. Deux conditions nécessaires pour légitimer aux yeux des cinéphiles du monde entier, la place de choix qu’occupe Cannes, comme phare de la cinématographie moderne. On veut du clinquant, du brillant, de l’extravagant, du séduisant. On veut du célèbre. Une condition uniquement acquise par la venue de gens de renom ou d’habitués de la Croisette. On pourra recenser les metteurs en scènes s’étant fait découvrir par Cannes (Steven Soderbergh, Quentin Tarantino), ceux ayant été primés (les frères Dardennes, Mike Leigh) et les autres, issus la plupart du temps de franchises mercantiles guindées grand public, à elles seules capables de transformer ce petit bout de plage en the place to be pendant une dizaine de jours. Et à bien des égards, et ce malgré l’absence notable du caractère mercantile entourant son œuvre, Atom Egoyan est un autre. Un cinéaste accompli, au talent reconnu mais à la discrétion hors-pair, le faisant ainsi passer inaperçu pour nombre de cinéphiles émérites. Inégal, au talent virant à une redite des thèmes le fascinant, tels que l’identité, l’aliénation et la solitude, Egoyan est ainsi un cinéaste imprévisible. Une imprévisibilité ayant sans doute motivé la sélection de son film, tant le Festival de Cannes se plait à se muer au gré de sa sélection annuelle en porte-voix de l’industrie cinématographique moderne. Un porte-voix ayant eu au cours des années le flair pour raviver, si ce n’est encourager, des pans entiers du cinéma mondial à naître. Comment oublier la reconnaissance dans les années 1990 de la relève du cinéma indé américain avec les sacres respectifs de Steven Soderbergh pour Sexes, Mensonges et Vidéos et Quentin Tarantino pour son culte Pulp Fiction, ou les balbutiements qui deviendront cris du cinéma numérique (Shrek, Sin City).
Une volonté de découverte poursuivie par cette édition 2014, qui bien que considérée par beaucoup comme un cru en demi-teinte, a, de par sa sélection, œuvré à suivre une thématique, terriblement d’actualité ; à savoir celle de voir le support cinématographique se muer en dénonciateur, en informateur, ou comment assister au travestissement d’un art ayant le temps d’une décade, sombré dans les affres du journalisme clinquant. C’est loin d’être rédhibitoire, tant certains films de la sélection ont su adhéré à cette thématique, sans perdre la force de leur récit ou de leurs ambitions, et su transformer une édition ayant vu le cinéma se muer en parangon d’un monde à l’agonie. Une agonie d’ordre sociale telle que montrée dans Deux Jours, Une Nuit des frères Dardennes, qui décrivait de manière dure et sans équivoque les conséquences humaines et sociétales d’une crise économique galopante; d’ordre géopolitique avec Timbutku, d’Abderrahmane Sissako, qui relatait l’invasion des milices islamiques dans le quotidien de populations maliennes désœuvrées, et finalement d’ordre sociétale et générationnelle, avec Captives, qui loin de son image de thriller sur fond de kidnapping, prend le pari de faire coïncider aussi bien cette variable abjecte et toujours aussi présente, que les dangers d’Internet, ici utilisé dans le film à des fins malhonnêtes.
Toutefois, si le choix, discutable pour certains, ne manque pas de logique, quid de la qualité du film en lui-même ? Thriller de bas-étage ou perle cachée ? Là est toute la question.
Quand Prisoners et Fargo se rencontrent.
De par son sujet et son affiche, Captives illustrait déjà son net penchant pour le passé. A la fois minimaliste et métaphorique, le choix de placer Ryan Reynolds regardant dans son rétroviseur, alors que devant lui s’étend un fond blanc indéchiffrable, quasi oppressant, ne servait rien de moins qu’à montrer la déchéance psychologique et émotionnelle endurée par ce père de famille après la disparition de sa fille. Une déchéance personnifiée dans le cas présent par l’attitude de ce père, qui par ce regard de défiance entremêlé de suppléance, laissait transparaître autant l’errance, l’ignorance et l’impasse dans laquelle il s’engouffre, que la culpabilité et les remords, ayant eu pour finalité paradoxale de le voir reculer, synonyme alors du regard en arrière, pour avancer et donc rester prisonnier, captif d’une vie fantasmée.
Une dimension purement abstraite revêtue par l’affiche, qui à elle seule, rend compte de la volonté d’Egoyan de laisser son film demeurer une œuvre d’art au sens littéral, c’est-à-dire, rester unique pour la personne la regardant. Choix hautement curieux en l’espèce, mais qui parvient à trouver un étonnant point d’orgue avec la narration.
A la fois non-linéaire, mélancolique, paisible et glaciale, la mise en scène oscillant constamment entre Prisoners pour sa radicalité et son absence notable de lumière ou autre source de réconfort, et Fargo, pour son décor enneigé et statique, cherche à atteindre une certaine complexité, au gré d’une déconstruction en bonne et due forme, qui outre le fait d’impliquer davantage le spectateur dans l’enquête, laisse transparaître la réelle motivation du titre du film, qui aurait dû se voir nommé Queen of The Night.
Un choix logique loin s’en faut, tant Egoyan, encore aveuglé par ses thèmes de prédilection que sont la quête d’identité, l’aliénation ou la solitude, semble vouloir dresser des personnages, tous paralysés par un passé qu’ils souhaiteraient oublier. Ainsi, en lieu et place de s’accorder uniquement à la fille disparue, ce titre évocateur sert davantage à démontrer les relents de captivité enserrant tous les acteurs de cette enquête nébuleuse, allant d’une inspectrice ayant été séquestrée, à une mère désespérée par le chagrin, et d’un pédophile jamais rassasié par ses fantasmes, et dont le jeu presque cartoonesque et empli de clichés, finit presque d’accentuer la froideur inhérente au cadre et au sujet. On pourra toutefois dénoter un récit dont l’emprise se resserre à mesure qu’on s’approche de la fin et qui en lieu et place d’un final glacial et machiavélique, s’achève de manière abrupte et sèche, sans compter la très longue gamme de seconds-rôles ou de sous-arcs narratifs, qui amenuise parfois la puissance logique et dévastatrice du récit, et amène quelques longueurs involontaires.
Au final, et d’après les mots de son propre metteur en scène, Captives se veut comme un Prisoners en plus abstrait. Une abstraction du récit amenant le flou sur divers points du récit tels que le réseau pédophile du principal antagoniste, mais qui ne gâche en rien le plaisir éprouvé à la vue d’un thriller aussi retors, glacial et captivant, mais qui assurément ne mériterait pas sa nomination au festival de Cannes, vu le genre déjà racé auquel il appartient.
Captives – Bande-annonce VOST
Captives (The Captive) : Fiche Technique
Canada – 2014
Interprétation: Ryan Reynolds (Matthew Lane), Scott Speedman (Jeffrey Cornwall), Rosario Dawson (Nicole Dunlop), Mireille Enos (Tina), Kevin Durand (Mika), Alexia Fast (Cass Lane), Peyton Kennedy (Cassandra enfant), Bruce Greenwood (Vince)…
Distributeur: ARP Sélection
Date de sortie: 7 janvier 2015
Durée: 1h52
Genre: Thriller
Réalisation: Atom Egoyan
Scénario: Atom Egoyan, David Fraser
Image: Paul Sarossy
Décor: Phillip Barker, Robert Hepburn
Costume: Debra Hanson
Montage: Susan Shipton
Musique: Mychael Danna
Producteur: Atom Egoyan, Simone Urdl, Jennifer Weiss, Stephen Traynor
Production: Ego Film Arts, The Film Farm