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Adieu au Langage de Jean-Luc Godard : Critique du film

Adieu au Langage : Un grand réalisateur ne manque jamais son dernier film

Synopsis : Un couple dont la situation se complique recueille un chien errant qui va soudainement prendre la parole. Comment cette histoire se terminera-t-elle ?

Aujourd’hui, on peut distinguer de nombreuses personnes qui peuvent s’offusquer devant ce titre. C’est du Godard de toute façon, quelqu’un qui parle pour ne rien dire, il aurait dû s’abstenir de refaire un film, Godard c’est l’éternelle « Nouvelle-Vague ». Mais on peut dire et penser ce que l’on veut sur ce dernier, aux USA, s’il y a bien un réalisateur français que tout le monde connaît c’est JLG (avec Tati). Ainsi, la notoriété de ce Monsieur n’est pas à remettre en question, même si vous n’adhérez pas à son style, il fait partie des grands réalisateurs français.

Ainsi, Adieu au Langage peut apparaître comme l’un des chefs-d’œuvre de l’année 2014, et ce pour de multiples raisons.

La dynamique intellectuelle

Cette œuvre est destinée tout particulièrement aux personnes qui aiment le cinéma qui fait vraiment réfléchir, où l’on ressort avec de nombreuses questions en tête. Ce qui manque cruellement dans le cinéma actuel…

Certains pensent que Godard impose toujours sa vision des choses … Les choix très personnels du réalisateur ont souvent laissé perplexes de nombreux spectateurs, jugeant son cinéma d’un « style élitiste ».

Justement dans ce film, le réalisateur présente les choses à sa manière, mais sans forcément tout remettre en question, l’objectif étant de modifier notre perception des diverses mutations structurelles de notre société. C’est un film très humain, où l’on a l’impression de repartir de zéro, sans toute cette superficialité ambiante. On redécouvre les rites de notre vie sociétale à son commencement, l’homme en contact avec la nature par exemple. Finalement, Godard nous explique la façon dont il a vu évoluer les choses tout au long de sa carrière de réalisateur.

Ensuite, ce film est 100% « made in JLG », la façon de s’exprimer, de communiquer, de transformer des dialogues simples en des paroles compliquées, cette manière d’articuler. Les français sont connus pour être des poètes, la langue française appréciée comme étant riche… JLG représente ainsi de la meilleure manière toutes ses caractéristiques, tout en restant fidèle à son style. Cela fait du bien de voir des dialogues travaillés aujourd’hui, qui cherchent à faire « philosopher » le spectateur.

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Godard qui fait du 3D ?

Quel choix astucieux ! Jean-Luc surprend tout le monde en utilisant la 3D. Ce qui en surprendra certainement plus d’un. Avant ce film, beaucoup « d’anti-Godard » pensaient sans doute, que de toute de façon ce réalisateur ne sait faire que du cinéma archaïque, traduisant finalement son incapacité à être dans l’ère du temps. Il répond ainsi de la meilleure des façons avec une utilisation d’une 3D quasi-parfaite. Dans Adieu au Langage, la 3D est superbement exploitée, ce qui le range parmi les plus beaux films français en 3D.

Finalement, Godard est un génie, capable de s’adapter à n’importe quelle technique de création cinématographique. C’est aussi une manière de laisser en guise de touche finale, une image d’un réalisateur qui a d’innombrables capacités de création. Bien que celui-ci avait décidé de garder son propre style cinématographique jusqu’à présent.

De plus, Godard a très astucieusement décidé de surexploiter la 3D, en réalisant certaines séquences à couper le souffle. Il a notamment osé tenter une 3D inversée à un moment notamment, lorsque la femme devient l’objet de l’homme et doit se soumettre aux ordres et à l’exhibition dans la société. Godard décide alors de nous faire une inversion 3D, qui nous laisse l’impression que c’est le monde à l’envers …C’est sans doute aussi une manière de critiquer les films d’Hollywood actuels, où l’on retrouve très souvent des films en 3D « surfaits ». Godard a toujours jugé que le cinéma américain était un peu trop un « cinéma fiction », trop éloigné des réalités, avec souvent des films imagés.

La personnification et la métaphore

Godard a un certain talent pour exprimer ses opinions au travers de ses acteurs, on peut notamment le remarquer dans Pierrot le Fou. Mais ici, son interprète c’est un chien. D’où la partie sur la métaphore, le chien est l’homme, et l’homme est chien. Ce choix est très habile : souvent on utilise l’expression « Quel monde de chien » pour décrire notre univers un peu cruel, où l’on on est quelque peu désabusé. On pourrait même reprendre l’exemple d’un documentaire culte dans son genre qui reprend directement l’expression « Mondo Cane ». Le choix du chien est peut-être aussi une dédicace aux nombreux sponsors qui ont refusé de financer ou de participer à son dernier film, Godard s’est peut-être vu traité comme un chien lui aussi …… Ainsi, notre chien s’appelle Jean-Luc. Celui-ci contemple notre monde, mais celui-ci n’a pas de langage que l’on pourrait codifier. En quelque sorte, il fait appel à d’autres sens comme l’ouïe et la vision notamment. C’est là qu’intervient la question sur la compréhension du langage.

Le langage est-il indispensable à notre émancipation spirituelle ? Est-il à la fois la cause et la conséquence de notre société ? N’est-il pas un outil démocratique ? Est-il plus intelligible par écrit qu’à l’oral ? La technologie est-elle une nouvelle forme de langage, garde-t-il alors la même valeur ? Le langage universel n’est-il pas au-dessus des mots ? Le langage, une obligation de communication ? Godard, le chien, ne nous donne pas une leçon, il cherche juste à nous faire réfléchir sur ces questions …

Ensuite, on retrouve un Godard que l’on pourrait qualifier d’ »avocat de la femme », comme dans son Court-Métrage, Anticipation ou l’Amour en l’an 2000. Il se personnifie parfois, dans cette jeune femme dénudée, vide de sens et de paroles dans cette société à domination « masculine ». Le message véhiculé ? Surement de changer notre regard sur la perception de la femme qui depuis très longtemps selon l’auteur, est la source de stéréotypes infondés. Adieu au Langage évoque également certains passages du Mépris, où l’on voit BB en femme objet, mais qui reste une femme libre de ses décisions. Comme si la femme avait finalement un pouvoir bien sous-estimé …

La littérature vs NTIC

En outre, Godard s’attarde souvent au cours de son œuvre à la place de la littérature aujourd’hui, qu’il considère certainement comme étant la meilleure utilisation du langage, avec le cinéma bien sur. On voit notamment des jeunes étudiants que l’on pourrait qualifier de marginaux (avec leurs habits) qui sont en train de lire. La littérature n’est-elle pas entrain de se perdre dans les nouvelles générations ? La littérature, une façon archaïque d’utiliser le langage et de communiquer ses pensées et ses idées ? La technologie est-elle un réel un vecteur de communication, n’est-elle pas nuisible à l’évolution de l’être ? L’échange est-il plus complexe, plus simple par l’intermédiaire de la technologie ? L’avenir de la littérature n’est-elle pas dans la technologie ?

Un passage justifie notamment ces nombreuses questions : deux personnes autour d’un stand de livres sont en train d’échanger leurs impressions sur un livre, par téléphone, en partageant leurs connaissances et leurs idées. Dans le même plan, une personne est simplement en train de lire une première de couverture, comme si finalement la lecture avait perdu de son dynamisme …A un autre moment, des personnes échangent de manière brutale et l’on voit dans le fond écrit sur une palissade « LANGAZ ». Cela ne représente-il pas d’une certaine façon notre langage asphyxié ? Comme si au cours de notre évolution, nous étions en train de perdre nos capacités linguistiques et la richesse de nos langues respectives. On peut également l’entendre comme les critiques à l’encontre de Godard dans sa façon de s’exprimer et son utilisation du langage optimal. Un style qui passe de moins en moins aujourd’hui, d’où sans doute ce fameux « LANGAZ ».

Les moments 100% « made in Godard »

Voici un petit panel de moments atypiques appréciables. Mettons-nous à la place du chien (soit de l’homme), Jean-Luc :

– JLG 1 : « Je sais que la majorité des personnes qui verront mon film sont des français, je sais qu’ils sont pour la plupart mauvais en anglais, enfin ils adhèrent à mon cinéma donc c’est l’élite donc ils parlent anglais. Du coup, je vais faire un petit speech de 3 minutes juste en anglais sur les prémices de la démocratie tant pis si certains ne comprennent pas l’anglais »

– JLG 2 : « Et ils pensent (les spectateurs) que je vais les laisser voir tout le temps des images ? Non, ça serait trop beau, je vous laisser philosopher sur ce que je suis en train de vous dire, je vais arrêter le film pendant 3 minutes pour m’assurer que vous soyez bien concentrés. Et puis ça vous vous permettra de vous reposer après toutes les infos emmagasinées »

– JLG 3 : « Je suis un « artiste du langage », et je compte bien le démontrer, qu’avec ma finesse linguistique je suis capable de dénoncer ce que je veux. T’as déjà vu des personnes ne pas du tout freiner lorsque le feu est vert ? Evidemment, Mao Tsé-toung et Che Guevara » … Autre exemple,  » qu’est ce que tu penses de la Russie ? S’ils sont européens ils ne seront plus russes, donc ils ne peuvent pas être européens.  » …

Un demi chef-d’œuvre

Adieu au Langage était déjà le film extraterrestre du dernier Festival. Il a tout de même était nominé ce qui peut surprendre, tant ce film est hors-sujet (ce qui n’est pas plus mal) par rapport aux autres films qui étaient en compétition.

Adieu au langage, est un film que l’on ne retrouvera pour ainsi dire plus jamais dans notre cinéma. C’était la dernière vague du Tsunami Godard … Mais, l’on prend un réel plaisir à couler sous cette dernière vague. Nous avons l’occasion notamment de découvrir un JLC proche de la nature et des choses simples de la vie. Ce film est sans doute finalement même plus positif que Pierrot le Fou, c’est en quelque sorte un hymne à la vie lorsqu’il décide de nous montrer cette nature verdoyante…

Tu nous laisses finalement sur une image de toi, le chien Jean-Luc, partant sur un chemin isolé en pleine nature, loin de nous. Tu nous manqueras forcément …

AH DIEU GoDaRd !!!

Jean-Luc Godard – « Adieu au langage » (2014) (Trailer)

Fiche technique – Adieu au Langage

Réalisateur : Jean-Luc Godard
Scénario : Jean-Luc Godard
Acteurs : Alexandre Païta, Héloïse Godet, Jessica Erickson
Durée : 70 minutes
Date de sortie initiale : 21 mai 2014
Producteurs : Alain Sarde, Brahim Chioua, Vincent Maraval

Auteur de la critique : Adrien Lavrat