La femme qui en savait trop… dans quel domaine ?

Après Madame Einstein (2016), Marie Benedict propose un nouveau portrait de femme. Celle qui en savait trop (2019) a connu la gloire à Hollywood sous le nom d’Hedy Lamarr. Autrichienne d’origine, elle s’était fait remarquer toute jeune au théâtre, dans le rôle de Sissi, tapant dans l’œil d’un certain Friedrich Mandl

Si le titre français fait ouvertement référence à Alfred Hitchcock dont la filmographie comporte deux versions différentes (1934 et 1956) de L’Homme qui en savait trop, le rapport avec le maître du suspense n’est qu’indirect, car le personnage central va faire carrière à Hollywood (quelques rôles dans des films noirs, mais aucun dirigé par Hitchcock). Autre étonnement avec la mention figurant en début d’ouvrage (sur la même page que le copyright) : « Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, serait pure coïncidence. » Autant dire que ces précautions bien classiques sont fausses ! En effet, ce livre (qui cite de nombreuses personnes réelles) est une autobiographie romancée de celle qui est passée à la postérité sous le pseudonyme de Hedy Lamarr. Alors, si le livre peut se lire comme un roman, quelque chose ne colle pas. En effet, la quatrième de couverture mentionne Hedy Lamarr, alors que l’accroche suivante, « Son extraordinaire beauté lui a sauvé la vie. Son brillant esprit a changé la nôtre », figure sur la couverture (édition de poche). Bien entendu, la photographie de couverture montre Hedy Lamarr au temps de sa splendeur. Bref, pourquoi de tels procédés destinés à intriguer et donc à faire vendre, alors que le livre possède des qualités ?

Première qualité

Ce livre se lit aisément, car Marie Benedict évite les effets chocs pour se concentrer sur ce qu’elle veut dire. Elle a de la matière, car la vie de son personnage est particulièrement riche. De plus, elle sait apporter des informations de manière littéraire, sans assommer son lecteur, mais en enchaînant les chapitres relativement courts qui font tous avancer l’intrigue. Je pense également qu’elle fait un choix judicieux en écrivant à la première personne, car elle se glisse assez facilement dans la peau de son personnage. L’inconvénient est un probable manque d’objectivité. Effectivement, par moments, on se demande quels peuvent bien être les défauts de son personnage. Mais non, avec un peu de réflexion, on lui en trouve et cela va en s’accentuant avec la deuxième partie.

Deuxième qualité

Ce livre rend compte de façon réaliste et prenante, de l’ambiance en Autriche pendant les années 30. La montée du nazisme vue du côté autrichien se révèle très instructive, surtout quand on réalise l’influence qu’elle a eue sur des destins personnels. Ainsi, on voit la jeune actrice Hedy Kiesler approchée par un homme habitué à obtenir tout ce qu’il désire. Friedrich Mandl affiche la puissance d’un industriel auquel rien ni personne ne résiste, ainsi qu’un physique dégageant une grande virilité. Mais il traîne la réputation d’un marchand d’armes sans scrupules. Bref, on le craint, y compris Hedy et ses parents. Mais les parents d’Hedy voient en lui celui qui pourra les protéger dans cette période d’avenir trouble. C’est ainsi qu’ils acceptent qu’Hedy sorte avec Fritz, puis qu’il l’épouse. La condition, c’est qu’Hedy mette fin à sa carrière d’actrice. En entrant dans le jeu de Fritz, Hedy met le doigt dans un engrenage infernal. Si elle enregistre des informations liées aux activités de son mari, elle perd progressivement quasiment toute prise sur sa vie. Il lui restera tout juste la force d’élaborer une stratégie pour fuir l’emprise d’un homme qui se rapproche de plus en plus du monstre. Le suspense quant au sort d’Hedy constitue la troisième qualité du livre.

Le plus

On pourrait ajouter une quatrième qualité au livre avec la description du milieu hollywoodien où la fuyarde réussit à se faire sa place sous le pseudonyme d’Hedy Lamarr. Mais si cette deuxième partie du livre se lit avec intérêt, à mon avis elle manque un peu de sel par rapport à la première. La raison pourrait être qu’elle souffre de l’absence d’enjeu crucial, car on sait qu’Hedy Lamarr court vers le succès. On réalise quand même son manque de stabilité dans ses relations sentimentales. Quant à son sentiment de culpabilité vis-à-vis d’innocents meurtris lors de la Seconde Guerre mondiale alors que les États-Unis restent à l’écart des hostilités, il pourrait s’agir d’un procédé romanesque. Toujours est-il que l’idée de génie qui émerge dans le cerveau de l’actrice étonne par son caractère scientifique (et même si Marie Benedict s’arrange pour rendre cette partie tout à fait compréhensible, louable effort). On finit quand même par se souvenir des conversations d’Hedy avec son père à propos de l’actualité internationale ainsi que de sa compréhension des affaires menées par Fritz (aussi bien pour son activité d’industriel que dans le domaine politique). Ainsi le portrait d’une femme intelligente au caractère suffisamment fort pour avoir échappé à une destinée de femme soumise émerge progressivement. On retiendra que son invention eut bien du mal à convaincre les décideurs (masculins) américains de son époque, mais qu’elle trouve toujours des applications, notamment dans l’appareillage de nos téléphones portables d’aujourd’hui. On tâchera de minimiser les défauts de la femme peu à l’aise dans son rôle de mère (adoptive), et capable de trouver irrésistible un homme franchement dangereux (d’ailleurs, à l’avenir, elle n’en trouvera aucun autre à la hauteur de ses aspirations), car il lui ouvre les portes d’un monde de luxe et d’abondance.

La Femme qui en savait trop, Marie Benedict
Presses de la cîté, octobre 2020


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3.5