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« Une romance anglaise » : quand le hasard fait mal les choses

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La collection « Aire libre » des éditions Dupuis accueille Une romance anglaise, du scénariste Jean-Luc Fromental et du dessinateur Miles Hyman. L’intrigue se déroule à l’aube des Swinging Sixties, avant l’avènement des Beatles et la libération des mœurs. Ostéopathe du tout-Londres, Stephen Ward est aussi un homme à femmes, autour duquel gravite notamment une certaine Christine Keeler, sorte de Galatée moderne qui va précipiter sa chute…

La proposition de Jean-Luc Fromental et Miles Hyman ne souffre aucune ambiguïté. Il s’agit, pour les auteurs, de revenir sur l’affaire Profumo, qui a probablement conditionné la victoire des travaillistes aux élections générales de 1964 en Grande-Bretagne. Ce scandale politico-sexuel, qui fait l’objet de multiples théories, jamais tout à fait tranchées, nous est raconté à travers le point de vue du docteur Stephen Ward, qui finit au terme d’un procès pour le moins retentissant jeté en pâture et suspecté de proxénétisme. Son tort ? Avoir été le Pygmalion du jeune mannequin Christine Keeler et l’entremetteur de ses rencontres avec l’agent russe Evgueni Ivanov et le secrétaire d’État à la Guerre John Profumo. Dans des hautes sphères londoniennes où on goûte volontiers aux plaisirs charnels, les genres vont se mélanger, les maladresses s’accumuler et les hasards faire leur œuvre jusqu’à provoquer la démission du Premier ministre Harold Macmillan et donner à des affaires de mœurs des allures spécieuses de complot international.

Stephen a tout du gendre idéal. Il côtoie le tout-Londres, en qualité d’ostéopathe, crayonne habilement et se montre capable de se fondre dans n’importe quel groupe social, du fait de son amabilité et de son refus de catégoriser ses interlocuteurs en fonction de leurs revenus ou de leur couleur de peau. C’est aussi un coureur de jupons, un charmeur invétéré, qui va s’éprendre d’une jeune vamp, Christine Keeler, qu’il façonne pour partie et introduit dans la haute société. Cheville ouvrière des services secrets, il va user des charmes de ce mannequin de dix-neuf ans pour obtenir des renseignements volés à l’agent russe Evgueni Ivanov, immédiatement séduit par elle. L’affaire aurait pu en rester là, mais Christine évolue avec ivresse dans un monde dont elle ne maîtrise pas les codes. Elle se rapproche dangereusement d’un ministre, John Profumo, et provoque la rivalité et l’ire de deux amants noirs, dont les dérapages vont éveiller la suspicion de la justice et entraîner la chute de tous ses proches, ainsi que du gouvernement conservateur en place. Rien que ça.

Portrait d’une époque, d’un milieu et d’une opinion publique à laquelle il en faut peu pour être chauffée à blanc, Une romance anglaise demeure d’une actualité brûlante à l’heure de la post-vérité et des suspicions généralisées de complots. Énorme scandale (oublié) des années 1960, il convoque des personnalités complexes, à fort relief romanesque, sur lesquels brodent en clercs Jean-Luc Fromental et Miles Hyman. Car au-delà de la dimension politique et culturelle de l’intrigue, c’est avant tout la chair humaine des différents protagonistes, et en premier lieu de Stephen et Christine, qui confère à cet album toute sa saveur. Prenez ce Pygmalion retors, bientôt malmené par une Galatée brûlant la chandelle par les deux bouts, et entraînant dans sa perdition une constellation de puissants et de marginaux. Ajoutez-y ce qu’il faut de romantisme et d’espoir déçus. Vous obtenez un cocktail détonnant, sulfureux, explosif. Au point de faire vaciller la vieille démocratie britannique.

Une romance anglaise, Jean-Luc Fromental et Miles Hyman
Dupuis, octobre 2022, 104 pages

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