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« Seule contre Hollywood » : quand la vérité affronte le cinéma de l’impunité

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

En mai 1937, Patricia Douglas, âgée d’à peine 20 ans, croit toucher du doigt le rêve tant désiré par tant de jeunes femmes de son époque : devenir actrice à Hollywood. Pourtant, c’est un tout autre scénario, sombre et brutal, qui se dessine lors d’une soirée privée organisée par l’un des studios les plus puissants de l’époque, la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). C’est ce drame oublié qu’Halim restitue avec puissance dans son roman graphique Seule contre Hollywood, paru aux éditions Steinkis.

Halim revient sur un événement tragique et précurseur, à l’aube des scandales sexuels qui secoueront plus tard le cinéma américain, anticipant de plusieurs décennies l’affaire Weinstein. Il retrace ici le destin bouleversant d’une jeune femme livrée à elle-même, face à un système rodé à l’impunité et au silence.

La jeune Patricia, embauchée parmi des dizaines de danseuses professionnelles sous couvert de participer à un tournage, découvre bien vite la supercherie : elles sont en réalité invitées à divertir une assemblée exclusivement masculine, venue célébrer les bénéfices records de la MGM. Refusant l’alcool et les avances insistantes d’un salarié, Patricia est agressée. Elle décide courageusement de porter plainte contre un géant d’Hollywood. Dès lors, c’est une véritable machine à broyer qui se met en route. La MGM, toute-puissante, mobilise des moyens considérables pour étouffer le scandale naissant : intimidation, diffamation, corruption de témoins et même enquête parallèle menée par l’agence Pinkerton.

À travers un récit qui a un écho particulier aujourd’hui, Halim met en lumière non seulement la violence vécue par Patricia Douglas mais également le parcours judiciaire kafkaïen qui suivit son agression. La jeune femme se heurte à l’indifférence, voire à la complicité des autorités judiciaires. Son adresse est rendue publique, elle subit des actes de vandalisme et, pire encore, voit sa propre mère, séduite par l’argent offert par la MGM, se muer en un soutien ambigu et défaillant. Après le traumatisme, la solitude ; tous deux sont orchestrés par un système qui organise l’impunité des puissants.

Halim déploie un trait brut et expressif, usant avec justesse d’une palette sobre et austère, dominée par des tons ocres et gris, parfaitement adaptés à l’atmosphère oppressante et surannée du récit. Il rend parfaitement compte des états d’âme de Patricia, aussi obstinée que tourmentée. Au cœur de l’album : les subtilités du procès et les manœuvres procédurales, qui occupent une large place et permettent de mieux comprendre le contrôle tentaculaire qu’exerçait alors la MGM sur la machine judiciaire et médiatique. 

Seule contre Hollywood est une chronique historique ou judiciaire qui s’inscrit pleinement dans une réflexion contemporaine, renforcée par l’écho puissant des mouvements féministes récents tels que #MeToo. Il interroge frontalement la corruption, l’impunité des puissants et la solitude souvent atroce des victimes. Même si son déroulement est un peu convenu, l’album n’en demeure pas moins passionnant, car il nous confronte, sous forme d’écho lointain, à des pratiques qui semblent perdurer à travers le temps. Il rappelle surtout que derrière le faste et le glamour d’Hollywood se cache parfois des réalités sordides, faites de silences complices, de rapports de domination éhontés… et de destins brisés.

Seule contre Hollywood, Halim
Steinkis, février 2025, 112 pages

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