Avec leur album Sector 5, Christophe Bec et Christian Pacurariu prennent pour cadre Bucarest et dévoilent les recoins sordides d’un quartier où la corruption, la violence et le sexe virtuel semblent être les uniques maîtres à bord. Paru aux éditions Soleil, ce polar urbain se révèle d’emblée comme une œuvre mature, implacable, et à réserver à un lectorat adulte averti.
Policier désabusé et marginalisé par sa hiérarchie, l’inspecteur Marian Ferentari se retrouve propulsé, presque malgré lui, sur une affaire glaçante : l’assassinat d’un avocat respecté sous les yeux de ses enfants. À mesure que l’enquête progresse, d’autres crimes tout aussi atroces adviennent. Ils impliquent un entrepreneur empalé sur un chantier ou encore un chauffeur de taxi immolé. Il s’agit maintenant de trouver ce qui relie les différentes victimes : l’univers des camgirls, ces jeunes femmes payées pour exhiber leur corps derrière des webcams.
Solitaire et cynique, Marian Ferentari porte en lui les stigmates d’une société qu’il abhorre autant qu’il s’y fond. À ses côtés évolue Amalya, une camgirl symptomatique d’une sexualité virtuelle lucrative mais destructrice. Son personnage nous sert de révélateur : il éclaire une industrie dont les coulisses sont souvent ignorées du grand public. Ainsi, la jeune femme entretient l’ambiguïté avec ses clients les plus fidèles ; elle leur offre quelques extras (numéro de téléphone privé, rencontres) s’ils acceptent de mettre la main à la poche. Mais certains en attendent plus et se mettent à rêver d’une relation durable, sincère et surtout exclusive.
C’est ici, précisément, qu’intervient un tueur en série guidé par des motivations dévoyées et une psyché tourmentée. Cette trinité narrative – l’inspecteur, la camgirl et le meurtrier –, réunis dans un Bucarest peu engageant, vont avancer de pair jusqu’à la résolution de l’enquête, en mettant en lumière le caractère dangereux et addictif du sexe virtuel, qui emploie des milliers de personnes en Roumanie, hommes et femmes confondus. Le lecteur pénètre une société en déliquescence, où la pauvreté légitime la marchandisation des corps.
Fin connaisseur de la Roumanie et de sa capitale, Christophe Bec charpente en clerc une tension narrative piquée de criminalité. La violence et la sexualité sont explicitement représentées, dans une atmosphère lourde, presque documentaire. La détresse transparaît parfaitement, dans un environnement où un match de football est avant tout l’occasion de faire de l’argent : en privatisant un étage dans un hôtel cossu, en organisant des paris sportifs ou en affrétant des prostituées dans les chambres des joueurs.
Les codes du thriller noir voisinent ici avec les dérives des sociétés modernes. Sector 5 n’en est que plus haletante : c’est une œuvre brute, viscérale, souvent provocante, mais d’une efficacité indéniable.
Sector 5, Christophe Bec et Christian Pacurariu
Soleil, février 2025, 104 pages





