Avec Pyongyang Parano, Antoine Dreyfus, Emmanuelle Delacomptée et Fanny Briant nous offrent un récit graphique proche du documentaire. Inspirée de l’expérience authentique d’Antoine Dreyfus, cette bande dessinée nous entraîne au cœur de la Corée du Nord, l’un des régimes les plus opaques et répressifs au monde. À travers les mésaventures de deux journalistes se faisant passer pour des négociants en chocolat, l’ouvrage allie avec brio l’humour absurde à une critique incisive du système nord-coréen.
L’idée de s’infiltrer sous une couverture aussi improbable que celle de vendeurs de chocolat prête à sourire. Cependant, cette stratégie quelque peu saugrenue s’impose comme une nécessité : elle permet d’éviter les circuits touristiques verrouillés par la propagande. Dès leur arrivée, les deux reporters se trouvent cependant sous surveillance constante. Chaque mouvement est scruté et soupesé. Entre les visites de monuments glorifiant la dynastie au pouvoir, les projections de documentaires aux récits invraisemblables et les discussions feutrées avec une délégation officielle omniprésente, le tandem avance peu dans son enquête mais espère toujours rencontrer le chef suprême nord-coréen, Kim Jong Un.
Antoine Dreyfus, Emmanuelle Delacomptée et Fanny Briant réussissent à restituer les aspects les plus pathétiques du régime communiste, mais aussi l’anxiété palpable qui habite les protagonistes tout au long de leur séjour. Le lecteur, témoin de ces moments de stress, mesure l’extrême fragilité de leur couverture. Le moindre faux pas, la photographie de trop, la question légèrement suspecte pourrait mener nos deux enquêteurs devant les services secrets nord-coréens, qui ne plaisantent pas avec les journalistes infiltrés. Ces derniers, s’ils sont démasqués, font en effet l’objet d’un traitement tout sauf enviable…
Mais là où Pyongyang Parano se distingue vraiment, c’est dans sa capacité à mêler l’absurde au tragique. Le récit met en lumière les contrastes violents d’un pays figé dans le temps : des usines désuètes et des travailleurs mal formés côtoient la grandeur factice des monuments dédiés au régime. En filigrane, on découvre une société profondément inégalitaire, où une élite jouit de privilèges inespérés tandis que le reste de la population survit dans des conditions effroyables. Si Pyongyang, la capitale, semble immaculée (et déserte), les campagnes regorgent de familles pauvres vivant dans des conditions douloureuses.
Les anecdotes émaillent le récit. Parmi elles : celle des villages japonais reconstitués et peuplés d’individus kidnappés, pour entraîner les espions nord-coréens avant leur séjour au pays du Soleil levant. D’autres, plus glaçantes encore, portent sur Kim Jong Un : l’assassinat de proches, la purge de l’élite ou encore les promesses absurdes faites aux investisseurs étrangers, qui repartent souvent du pays les mains vides après y avoir placé quelques billes essentielles à la survie du régime communiste.
Pyongyang Parano questionne aussi le rôle du journaliste face à des systèmes oppressifs. Faut-il risquer sa sécurité pour dénoncer l’injustice et lever le voile sur des régimes aussi hermétiques ? À travers le périple de son tandem, l’ouvrage rend hommage à la détermination de ceux qui, malgré les dangers, choisissent d’informer. Antoine Dreyfus, Emmanuelle Delacomptée et Fanny Briant nous plongent ainsi dans les méandres d’un régime totalitaire tout en interrogeant notre propre perception de la liberté. Entre satire et témoignage, Pyongyang Parano éclaire les absurdités d’un système en vase clos, incubateur de tragédie humaine et d’illusions à vaste échelle. Un ouvrage à lire pour mieux comprendre les rouages d’un des derniers bastions de la dictature communiste.
Pyongyang Parano, Antoine Dreyfus, Emmanuelle Delacomptée et Fanny Briant
Marabulles, novembre 2024, 128 pages