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« Peindre ou ne pas peindre » : sur Man Ray, Paul Poiret et la création artistique

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

Le diptyque Peindre ou ne pas peindre rassemble deux ouvrages de Philippe Dupuy dans une édition unique. L’auteur et dessinateur français s’y penche sur les figures de Man Ray et Paul Poiret tout en s’attachant à décrire une époque féconde de l’histoire des arts.

Côté pile, on suit les traces de Man Ray, et on découvre à quel point « l’Europe est vivante de ses avant-gardes ». Côté face, on s’intéresse à Paul Poiret et à la manière dont il a troublé « les gardiens de la moralité ». Dans Peindre ou ne pas peindre, le bédéiste Philippe Dupuy s’éloigne énormément des formules éprouvées de la bande dessinée. Il prend appui sur un système graphique original, cohérent et tricolore (blanc, noir, beige) pour sonder le parcours de deux artistes précurseurs, dont les chemins sont appelés à se croiser.

Les deux tomes qui composent ce diptyque ont ceci en commun qu’ils radiographient le processus créatif, ses balises et leurs transgressions. Marcel Duchamp et ses expérimentations artistiques apparaissent comme un modèle pour Man Ray, dont les réflexions conceptuelles prennent la forme de fantômes obsédants ou se matérialisent à l’occasion de parties d’échecs fictives l’opposant à lui-même. Paul Poiret a beau avoir inspiré Chanel, il n’impose pas sa griffe sans peine. « Je ressemble à une colonne grecque qui se prendrait les pieds dans le tapis. » Son travail repense les formes, la féminité et, bien entendu, la mode. Il partage avec Man Ray une passion qu’ils vivent en quelque sorte par procuration : « Nous sommes donc deux peintres sans pinceaux. Vous la lumière, moi les étoffes. »

À travers Man Ray, le lecteur découvre l’Armory Show, exposition internationale tenue à New York en 1913, Ridgefield, où l’art se conçoit en communauté, les Revolving Doors de 1916, six célèbres images assemblées sur un axe central, ou la Ferrer Modern School. Il fait la connaissance de la collectionneuse Katherine S. Dreier, qui fonde un musée en plein Manhattan en 1920, ou d’Arthur J. Eddy, l’investisseur qui a acheté à Man Ray une demi-douzaine d’œuvres malgré son faible rayonnement et le relatif mépris de la presse. Paul Poiret se dévoile quant à lui par le biais de son acharnement au travail, de ses déclarations sur le jazz ou la prohibition, de son comportement dispendieux le poussant à organiser de fastueuses réceptions alors même que ses finances ne sont pas au beau fixe – la guerre a notamment considérablement fragilisé ses affaires.

D’un trait libre et proche de l’esquisse, Philippe Dupuy s’épanche sur deux trajectoires éclairant en filigrane l’histoire de l’art. Man Ray finit par épouser la photographie et revenir à Paris, où il se sent davantage compris. Paul Poiret va bouleverser les appréhensions du corps et du vêtement jusqu’aux fronts de la Première guerre mondiale, où ses tenues s’écoulent, non sans étonnement. À l’instar d’Une histoire de l’art, Peindre ou ne pas peindre donne du grain à moudre à ceux qui se passionnent pour l’acte créatif. Documenté sur le fond, libre sur la forme, cet album se conçoit avant tout comme un voyage passionné à travers deux incroyables destins artistiques.

Peindre ou ne pas peindre, Philippe Dupuy
Dupuis, février 2021, 256 pages

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