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« Pacific Palace » : le one-shot de Christian Durieux

Jonathan Fanara Responsable des pages Littérature, Essais & Bandes dessinées et des actualités DVD/bluray

La série « Le Spirou de… » invite des personnalités du neuvième art à revisiter l’univers de Spirou et Fantasio, en proposant des histoires indépendantes qui s’inscrivent en marge des albums traditionnels. Aujourd’hui, c’est au tour de l’auteur bruxellois Christian Durieux de s’y atteler, à l’occasion de Pacific Palace.

Replacer Spirou dans sa fonction première de groom le temps d’un album. Lui accoler son fidèle compagnon Fantasio – il vient de perdre son emploi de journaliste d’investigation et rêve déjà de remettre le pied à l’étrier. Les confronter tous deux à la visite d’un dictateur en fuite, Iliex Korda, une sorte de Nicolae Ceausescu du Karajan, un petit pays imaginaire des Balkans. C’est le parti pris de Christian Durieux dans Pacific Palace, un album aux nombreuses ruptures de ton.

Au commencement, il y a les arrière-cuisines de la diplomatie internationale. Des journalistes affairés devant un hôtel vidé de sa clientèle et de la plupart de ses employés. Un « président à vie » en exil. Un gouvernement français et une Assemblée nationale ne sachant plus sur quel pied danser. Des jeux de connivence et des coups de pression. Christian Durieux nantit Iliex Korda de la panoplie complète du parfait despote : l’élimination de ceux qui entravent son ascension, le népotisme, le clientélisme, les réfugiés politiques… Que faire de cet invité gênant ? L’extrader en vue d’un jugement ? Le protéger en vertu des liens passés ?

Ce terre-à-terre politique est parasité par les facéties de Fantasio – il se prend à imaginer un grand reportage au plus près d’un tyran lui valant la considération de toute la profession –, mais aussi par la romance amorcée entre Spirou et Mlle Elena, la fille de Korda. Cette dernière est le prétexte à des planches quasi irréelles, prenant pour cadre une piscine et pour composante des teintes bleues enchanteresses. Cette jeune femme au regard envoûtant en dit long, avec une rare économie de moyens, sur la réalité d’une vie à l’ombre d’une dictature : « Personne ne m’a jamais jugée… Toutes les petites copines de mon école avaient des parents qui léchaient les chaussures de mon père… Je n’ai jamais mis les pieds dans un magasin d’état… Mon club de sport ? Celui des petits soldats du parti. »

Alors qu’un événement historique est en train de se dérouler dans son hôtel, M. Paul arbore un comportement de plus en plus étrange. Il échange quelques mots avec Iliex Korda dans sa langue natale et semble avoir un passé commun avec son hôte qui va bien au-delà de la signature d’un Traité de paix dans l’établissement. Toute la dernière partie de l’album tournera autour de ces questions, avec une conclusion d’un cynisme éprouvé.

Inspiré, doté d’un trait élégant et d’une palette chromatique séduisante, Christian Durieux signe un album sous forme de huis clos qui révèle graduellement toute sa richesse. Une bande dessinée qui implique un Fantasio gaffeur, se pensant à tort irrésistible, et un Spirou sous le charme d’une jeune femme difficile à approcher.

Le Spirou de Christian Durieux – Pacific Palace, Christian Durieux
Dupuis, janvier 2021, 80 pages

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